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lacs du pays, une pêche très abondante de scoranzas, petits poissons de la taille et à-peu-près de la forme de l’anchois.

« La manière dont on prend ce poisson est des plus singulières. À certaines époques de l’année, il arrive dans le pays des nuées d’une espèce particulière de corneilles, que les habitans, turcs et chrétiens, ménagent au point qu’il y a peine de mort pour quiconque en tuerait volontairement.

« Quand le temps de la pêche est venu, les habitans posent de grandes nasses dans les rivières et dans les lacs. Le prêtre arrive ; les pêcheurs se mettent dans leurs canots ; en même temps, les corneilles paraissent en quantités innombrables, et restent tranquilles sur le bord de l’eau et sur les arbres. Quand tout est rassemblé, le prêtre donne sa bénédiction, après quoi les pêcheurs jettent dans l’eau un appât qui consiste ordinairement en grains bénis. Dès que les poissons voient nager ces grains, ils montent à la surface de l’eau ; aussitôt les corneilles s’élancent sur eux avec des cris perçans, ce qui effraie tellement les poissons, qu’ils se réfugient par milliers dans les nasses. On recommence la pêche, et les corneilles retournent sur les arbres. À la fin du jour, on leur abandonne une certaine quantité de poissons ; et, tant que dure la pêche, elles reviennent exactement.

« La même cérémonie s’observe sur le lac de Scutari, à la différence près que là c’est un iman qui donne la bénédiction.

« La pêche des scoranzas est une des grandes ressources du pays, car on sale ces poissons comme les anchois, et il s’en consomme dans l’année des quantités prodigieuses, surtout aux temps des jeûnes, qui, chez les chrétiens grecs, sont longs et fréquens. »

Les corbeaux du Monténégro m’ont fait abandonner les dauphins, avant que j’eusse terminé ce que j’avais à en dire ; j’y reviendrai donc, et je parlerai de ces cas singuliers d’attachement pour l’homme que nous ont transmis plusieurs auteurs anciens. Je ne considérerai ici que celui qui est rapporté par Pline le jeune dans sa lettre à Caninius, livre ix, épître xxxiii. Quoique cette lettre soit bien connue, et qu’elle contienne beaucoup de verbiage, je dois la reproduire presque entièrement, parce qu’elle me fournira matière à plusieurs remarques.

« La colonie d’Hippone en Afrique est située à peu de distance de la mer, et tout à côté d’un grand lac navigable. Ce lac communique avec la mer par un canal dans lequel la marée monte et descend alternativement comme dans les fleuves près de leur embouchure, de sorte que le courant se dirige pendant un temps vers le lac, et pendant un autre vers la mer.

« La pêche, la navigation, le bain, y sont des plaisirs de tous les âges,