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Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/58

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REVUE DES DEUX MONDES.

à l’horizon, lorsque la porte s’entr’ouvrit ; j’entendis la voix de Caroline, et quoiqu’elle parlât bas, voilà ce qu’elle dit :

« Adieu, mon Emmanuel chéri ! à demain !

Puis la porte se ferma ; Emmanuel passa près de moi ; je ne sais comment il se fit qu’il n’entendit pas les battemens de mon cœur… Emmanuel !…

Je rentrai dans ma chambre, et je tombai sur le parquet, roulant dans ma pensée tous les moyens de vengeance, et appelant Satan à mon aide, pour qu’il m’en choisît un ; je crois bien qu’il m’entendit, et qu’il m’exauça. Je m’arrêtai à un projet ; dès-lors je fus plus calme.

Je descendis à l’heure du déjeuner. Caroline était devant une glace, entrelaçant du chèvrefeuille dans ses cheveux ; je m’avançai derrière elle, et elle aperçut tout à coup dans la psyché ma tête au-dessus de la sienne ; il paraît que j’étais fort pâle, car elle tressaillit et se retourna.

— Qu’avez-vous donc ? me dit-elle.

— Rien, madame ; j’ai mal dormi.

— Et qui a causé votre insomnie ? ajouta-t-elle en souriant.

— Une lettre que j’ai reçue hier soir en vous quittant, et qui me rappelle à Paris.

— Pour long-temps ?

— Pour un jour.

— Un jour est bientôt passé.

— C’est une année ou une heure.

— Et dans laquelle de ces deux classes rangez-vous celui d’hier ?

— Parmi les jours heureux ; on en a un comme cela dans toute une vie, madame ; car, arrivé à ce degré, le bonheur, ne pouvant plus augmenter, ne fait que décroître. Quand les anciens en étaient là, ils jetaient quelque objet précieux à la mer, afin de conjurer les divinités mauvaises. Je crois que j’aurais bien fait hier soir d’agir comme eux.

— Vous êtes un enfant, me dit-elle en me donnant le bras pour passer dans la salle à manger. Je cherchai des yeux Emmanuel. Il était parti dès le matin pour la chasse. Oh ! leurs mesures étaient bien arrêtées pour qu’on ne surprît pas même un coup-d’œil.

Après le déjeuner, je demandai à Caroline l’adresse de son mar-