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passée ; ils s’expliquent l’un à l’autre, sans réserve et sans détour, tous les problèmes de leurs ambitions et de leurs volontés, impénétrables aux clairvoyances communes, condamnées sans appel par le vulgaire, qui ne les comprend pas ; — et le jour où ces deux âmes se savent bien, elles s’aiment.

Dés qu’elles se sont dévouées l’une à l’autre, elles se consolent naturellement par la révélation assidue de leurs douleurs ; elles espèrent et prennent courage. La vie, incomplète jusque-là, prend un aspect nouveau, et s’enrichit de perspectives inattendues. Les incidens les plus indifférens en apparence acquièrent une importance singulière : chacun des deux y devine ou y cherche l’occasion d’un plaisir ou d’un bonheur pour l’autre.

L’amour de cœur, qui ne débute pas par l’exaltation, comme l’amour de tête, peut cependant atteindre à l’enthousiasme. Pour lui, à la vérité, les extases sont rares et ménagées ; mais quand elles s’apaisent et s’évanouissent, ce n’est pas sans retour et pour ne plus revenir. Comme la vie une fois soumise à cet ordre de sentimens se compose de calme, de paix et de sérénité, il ne regrette ni n’appelle ces heures divines et fugitives, où l’âme oublie le monde entier pour ne plus se souvenir que de la personne aimée. Il les accueille avec joie comme les bien venues, mais les voit partir sans larmes et sans colère. Loin de se révolter contre la vie réelle, il l’étudie assidûment pour la dominer, l’assouplir à sa volonté ; il ne détourne pas les yeux de la route où il marche, pour regarder incessamment le ciel où il ne peut monter.

Cet amour, le plus sérieux, le plus rare et le plus durable de tous, s’engage lentement, et s’éprouve long-temps avant d’accepter une sanction réelle ; pour lui, le dernier abandon n’est pas un sacrifice, car il ne craint pas les mécomptes. Ce qu’il ne peut obtenir, il ne l’a pas attendu. Il n’aura pas à pleurer sur sa clairvoyance tardive, sur son espérance déçue.

Il résout victorieusement une question qui a long-temps occupé les écoles de l’antiquité, et qui se débat encore aujourd’hui parmi quelques sophistes entêtés dans l’étude exclusive de la sagesse écrite : il confond et réunit dans une seule pensée le devoir et le bonheur.

Car si l’amour des sens et l’amour de tête sont égoïstes et condamnés