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sive à une douce fraîcheur me disposa bien favorablement, pour les jardins de Côsiah, sans m’aveugler néanmoins sur ce que je voyais ; car, tout en mangeant d’excellens fruits, je trouvai beaucoup d’exagération dans ce qu’on m’en avait dit. Les plus grands orangers ont environ quarante pieds de hauteur ; mais ils manquent de ce touffu, de cette verdure, de ce vernis qu’on remarque chez ceux de nos serres. Leurs troncs, aussi gros que le corps, leurs branches aussi fortes que la jambe, sont armés de longues épines et rongés par ce qu’on appelle de l’échenillure. Il est difficile d’accorder la douceur et l’abondance de leurs fruits, qui supposent un terrein convenable, avec leurs cimes roussies, leurs feuilles roulées, jaunies et clairsemées. Cette orangerie, d’environ quatre lieues carrées, n’est pas disposée régulièrement comme tu pourrais le croire, et comme elle le serait chez un peuple moins indolent. Les arbres sont entassés sans ordre, sans symétrie, comme ceux d’un bois épais, et la terre est couverte de plantes aussi nuisibles pour eux que pour les hommes. Les propriétaires de l’orangerie sont des montagnards qui ne descendent que pour cueillir les fruits ; aussi ne voit-on que quelques huttes dispersées çà et là, et qu’ils abandonnent quand la récolte est faite, sans aider en rien la nature qui fait pour eux, comme pour tant d’autres, beaucoup plus qu’ils ne méritent. Mes idées philanthropiques m’ont inspiré le désir d’être utile à ces sauvages, et après avoir pris des renseignemens suffisans sur la cause de leur misère qui tient à ce que, n’étant pas sur le territoire de la Compagnie, on les soumet à des droits qui absorbent leurs bénéfices, j’ai adressé au conseil de Calcutta une pétition en leur faveur, pour demander que l’on perçoive les droits d’une autre manière, ce qui nous ferait manger au Bengale des oranges cultivées beaucoup meilleures que celles qu’on y apporte ordinairement. Nous sommes à l’époque de l’année où ces bons fruits commencent à mûrir. Cette multitude infinie de petits points rouges, au milieu de la verdure, produit un spectacle très agréable, qu’anime une foule d’oiseaux brillans, tels que des perruches, des argus et autres espèces de faisans sauvages. Du reste, pas de bosquets amoureux, pas de sentiers glissans, pas de ruisseaux limpides ; on ne voit ici ni naïades, ni hamadryades, ni épiméliades, mais bien des jardiniers aussi laids que des satyres, des bergers aussi stupides