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PHILIPPE DE MORVELLE.

sang-froid et son aplomb, au milieu des folies de la soirée, vous avez vu nos indépendans ; qu’en pensez-vous ? Ce ne sont pas de fortes têtes, mais ce sont les seules têtes du pays qui comprennent ce qu’il faudrait faire. Ils ne peuvent rien par eux-mêmes ; mais bien disciplinés, bien dirigés par quelqu’un de prudent qui ne leur dirait pas son dernier mot, je vous assure qu’ils feraient merveille. Je vais les surveiller de près, pour que demain aucun d’eux ne vous manque ; et si, comme je l’espère, vous réussissez, monsieur le comte, nous nous reverrons à Paris.

— Monsieur, je serais très flatté… très heureux.., de vous recevoir chez moi, quoi qu’il arrive, — répondit le comte avec une certaine hésitation, et là-dessus ils se séparèrent.

Le lendemain l’élection eut lieu, et M. de Morvelle obtint à peine le quart des voix des électeurs présens à Quingey. Le candidat préféré était un des cliens de la société parlementaire, et l’un des plus chauds protestans ; c’est ainsi qu’on appelait alors en Franche-Comté les adversaires de l’ordonnance qui doublait la représentation du Tiers. La cause des souvenirs comtois et celle des idées parisiennes furent toutes les deux vaincues : après le dépouillement du scrutin, la plupart des indépendans vinrent faire leurs complimens de condoléance au candidat qu’ils avaient soutenu. Mais M. de Bois-la-Ville ne se présenta pas cette fois, occupé sans doute qu’il était à refaire sur une autre base ses plans d’intrigues et de fortune.

M. de Morvelle partit de Quingey, un rien confus, mais nullement ébranlé dans ses convictions politiques. Il pestait fort contre l’esprit provincial, et imputait même à cet esprit arriéré le désagrément qu’il avait eu, de se voir protégé par un intrigant, et de compter pour amis tous les hommes de conduite ou légère ou décriée. « Paris ! disait-il en lui-même, pendant que sa chaise de poste roulait sur la grande route, il n’y a que Paris ! J’aurais dû m’en douter plus tôt, et vendre mes maudits fiefs de province. J’aurais, comme le comte de Mirabeau, jeté bas ma gentilhommerie pour un mois ou deux, et pris boutique dans la rue Tire-Chappe ! Mais il est trop tard pour y songer ! »


Mme  Augustin Thierry.