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LE MARQUIS DE SANTILLANE.

cimeterre de l’islamisme reculait à son tour devant l’épée chrétienne. Mais en même temps le génie espagnol, en dépit de ses fières susceptibilités, respirait l’enivrante odeur des parfums de l’Arabie. Humanisé par la victoire, il cesse enfin de fuir tout autre rapprochement qu’à la longueur de la lance avec les missionnaires des lumières de l’Orient. Alphonse le savant[1] confère l’ordre de chevalerie à Muhammad ii, roi de Grenade, et le salue du nom de fils, en lui donnant l’accolade. Il institue à Séville, vers le milieu du xiiie siècle, des écoles publiques pour l’enseignement des lettres arabes. Au moyen de ce frottement, le choc guerrier entre les deux peuples perdit peu à peu de sa rudesse, et le contact social s’établit. Telle fut l’aurore de la culture intellectuelle de l’Espagne ; et c’est ainsi que long-temps avant la diffusion des lumières grecques, bannies de Constantinople par la conquête musulmane des Turcs, la civilisation introduite en Occident par des armes musulmanes plus dignes de triompher s’infiltrait déjà en Europe, où, suivant l’observation de Condé[2], les évêques et les abbés seuls savaient lire, lorsque les Arabes propageaient les sciences par tout leur vaste empire, depuis la Perse jusqu’à la France. À cette primitive expression de la nationalité castillane, commençant à revêtir le coloris oriental, succéda la poésie moins originale de la docte cour de Jean ii. Une tendance morale et philosophique, quelque velléité de s’inspirer de l’étude des Latins, et l’imitation des chants des Provençaux, de Dante et de Pétrarque, caractérisent cette époque littéraire, à laquelle on reproche à bon droit l’abus d’une pédantesque érudition, et l’affectation de la subtilité de l’esprit. Le savant marquis de Villena fut comme le chef de cette école poétique, dont la plus grande gloire, après Jean de Mena, fut le marquis de Santillane.

Don Iñigo Lopez de Mendoza, premier marquis de Santillane, naquit le 19 août 1398, à Carrion de los Condes, dans le royaume de Léon. Son père était grand du royaume, Ricohombre ; et, avant

  1. Alonso el sabio. C’est à cause de son savoir que ce grand homme fut surnommé el sabio (le savant), et non le sage, comme l’ont appelé les traducteurs français.
  2. Historia de la dominacion de los Arabes en España, prologo.