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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/228

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en Catalogne à la fin de ce même XIVe siècle, de là en Aragon, et puis en Castille, où l’introduisit le marquis de Villena, auteur de la Gaya sciencia. Santillane, à qui j’ai déjà dit que cette poétique fut adressée, succéda à Villena dans l’œuvre de propagation de la gaie science, dont l’apparition en Castille, qui date du commencement du XVe siècle, ouvre une nouvelle période de la poésie en Espagne. Les poètes de cette époque, qui est celle de Jean ii, sont marqués au coin de l’imitation des formes étrangères. Santillane a défini la poésie ce qu’elle était dans la conception de son temps, et pour ce fait je ne le citerai pas au tribunal de la critique moderne où Bouterwek l’a gratuitement condamné[1]. Je ne lui reprocherai pas non plus, avec le même écrivain, d’avoir ignoré la distinction que nous reconnaissons entre une science et un art, et d’avoir proclamé la poésie, la science par excellence. Mais que la poésie soit antérieure et supérieure à la prose, c’est ce dont la critique de notre siècle, marchant au flambeau des lumières traditionnelles, convient avec celle du XIVe — Image terrestre de la poésie éternelle, la parole de l’homme, toute poétique à son origine, refléta l’harmonie céleste ; organe des dieux dans la croyance des temps antiques, elle chanta les préludes de la civilisation au berceau de l’humanité. Strabon ne voyait dans la prose, œuvre artificielle, qu’une imitation de la poésie, fille de la nature. Telle est aussi la conviction éclairée de M. Ch. Nodier dans ses Élémens de linguistique publiés par le Temps. La poésie hébraïque est vieille comme le monde ; on en tombe d’accord avec Santillane. Mais que les chants bibliques soient exprimés en langage métrique, c’est ce qu’on ne peut pas affirmer aujourd’hui, en laissant aux mots leur signification admise. Un nuage que la critique ne percera vraisemblablement jamais nous cache les mystères de la prosodie des Hébreux. Le trait le plus saillant que nous puissions distinguer dans l’expression de leur poésie est une symétrie constante dans les deux hémistiches qui composent le vers. C’est en vain qu’on a prétendu découvrir, dans ce que, pour être court, j’appelle leurs vers et leurs hémistiches, des formes métriques invisibles à nos yeux. À la fin de

  1. Geschichte der Spanischen Litteratur.