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DE L’INSTRUCTION DU PEUPLE.

des propriétés de la sociabilité humaine, perce à jour les hommes dans leurs grandeurs et leurs faiblesses : les petites ames y sont démasquées sur-le-champ, et leurs pauvretés s’y trouvent dénoncées par d’effrayantes lumières. Il faut aimer et comprendre le peuple pour valoir quelque chose dans la gestion des affaires communes : les hommes qui croient à la souveraineté sociale ne se cantonneront pas dans des préoccupations mesquines, ne se réfugieront pas dans les calculs et les négations de l’égoïsme, dans les appréhensions et les déshonneurs de la peur. Mener les choses dans un intérêt particulier, dans l’intérêt bourgeois, par exemple, c’est avoir l’air de se défendre, ce n’est pas gouverner ; au lieu d’unir les hommes et de résoudre les problèmes, c’est multiplier les difficultés et les dissensions, c’est, pour ainsi dire, organiser la guerre civile. Aux affaires il faut être peuple et non pas bourgeois. Eh ! le peuple, c’est tout le monde ; c’est le bourgeois, l’ouvrier, l’artiste, le soldat, le marchand et le savant ; c’est une collection d’hommes dont les différences et les inégalités se rallieront toujours à une idée générale, à une passion généreuse ; c’est une réunion de parties toujours destinées et toujours dociles Mais si, au lieu de comprendre le peuple, vous vous sauvez dans je ne sais quelle neutralité, qui n’est pas le centre véritable de la véritable unité, vous vous trouvez séparé tant des souvenirs et des derniers prestiges du passé que des forces et des espérances de l’avenir. Alors tout vous est dangereux et suspect ; le plus petit incident devient péril, le plus faible mouvement terreur ; alors on déclare la plus légère réforme aussi coupable que la plus considérable, parce qu’elle peut y conduire ; on veut, avec une obstination colère, fermer la vie politique à la pauvreté, au talent, à la vertu ; et de petits bras s’emploient à placer le dieu Terme entre le privilège et la privation. Devant l’Europe on n’aura pas plus de grandeur ; non-seulement on découragera les peuples ; on n’osera même pas regarder en face les rois ; la nation de louis xiv, de la République et de Napoléon, ne sera plus estimée suffisamment ; et il sera douloureux de passer la frontière pour aller entendre sur la patrie les propos des étrangers. Est-ce là donc vivre ? Est-ce là diriger une société ? Non, c’est se contenter d’y faire la patrouille, c’est réduire la santé à ne pas mourir aujourd’hui.