Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/536

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
524
REVUE DES DEUX MONDES.

nelle que le romancier pouvait prétendre légitimement disparut toute entière dans la renommée du livre. Aujourd’hui toutes choses sont remises à leur place. Le livre est demeuré dans l’opinion littéraire ce qu’il était, un beau et grand livre, et le nom qui a signé ce livre est devenu glorieux comme on devait l’espérer. Richelieu, Louis xiii, Anne d’Autriche, sont tracés d’une main ferme et savante. L’élève, ou mieux encore l’écolier du cardinal est habilement recomposé avec les traits semés dans les mémoires des courtisans. Alfred de Vigny a respecté scrupuleusement la vérité qu’il avait étudiée. Il nous a montré un roi faible et honteux de sa faiblesse, pleurant le sang qu’il voit couler, et n’osant faire un pas pour arrêter la hache prête à tomber sur une tête innocente, conspirant contre son ministre qu’il n’ose congédier, et dénonçant lui-même ses complices à l’ennemi qu’il voulait abattre. C’est une physionomie singulièrement triste que celle de ce pauvre roi. Mais je crois que le poète aurait eu grand tort de l’altérer ; car sans le vrai Louis xiii Richelieu n’était pas possible. Le cardinal était difficile à peindre, il y avait un double écueil à éviter. En exaltant sa grandeur politique, on courait le risque de dissimuler la cruauté maladive de son caractère. En étudiant trop curieusement toutes les singularités de ce prêtre prodigieux qui tenait du tigre et du chat, on pouvait se laisser aller à oublier toutes les grandes choses qu’il a faites, et toutes celles qu’il avait projetées pour assurer la puissance du royaume. Dans Cinq-Mars, Richelieu est simple et naturel jusque dans ses bizarreries les plus inattendues. Mais il garde au milieu de ses originalités individuelles la hauteur et la netteté de ses vues. C’est plaisir de voir comme il embrasse d’un regard tous les rouages de la machine européenne, comme il enlace dans le réseau de ses pensées tous ces oiselets couronnés qui obéissent en croyant commander, comme il mêle obstinément l’écheveau de ses intrigues, comme il sème les inimitiés pour recueillir les confidences indiscrètes échappées à la colère.

Anne d’Autriche nous demeure en mémoire comme une des créations les plus gracieuses de la poésie. La jeunesse et les blonds cheveux de cette belle reine, ses frayeurs et sa piété, son enfantine coquetterie, les fautes même de sa conduite, tout cela compose un