Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/537

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
525
LES ROYAUTÉS LITTÉRAIRES.

ensemble merveilleux une figure idéale et harmonieuse qui contraste heureusement avec celle du roi et du cardinal.

L’amitié de Cinq-Mars et de Thou rappelle, par son austère dévouement, les amitiés antiques que nous lisons aux biographies de Plutarque. L’amour de Cinq-Mars pour Marie est une étude poétique pleine de finesse et de vérité. Quant à Cinq-Mars lui-même, je sais qu’on a souvent reproché à l’auteur de l’avoir embelli outre mesure, d’avoir agrandi sur une trop large échelle les ambitions du favori. Sans doute, à ne consulter que les témoignages, la critique a raison. Mais vous savez comme Alfred de Vigny a répondu à ce reproche. Vous savez comme il a réduit à sa juste valeur ce qu’il faut entendre par la vérité historique. Je ne veux pas le nier, en poussant à bout la pensée de Walter Raleigh, il n’y a plus de croyances possibles ; il faut brûler tous les livres qui racontent le passé, ou s’en amuser seulement et renoncer à s’instruire. Mais entre l’incrédulité de l’aventurier anglais et l’orthodoxie universitaire il y a une crédulité intermédiaire, et c’est à celle-là que le poète s’adresse. L’historien doit discuter les relations contradictoires et conclure, après mûr examen, selon la position et la moralité des narrateurs. Le poète a le droit de choisir entre ces relations celle qui lui agrée le mieux. Est-ce à dire pourtant qu’il pourra méconnaître volontairement le caractère général du siècle où il prend son héros ? Je ne le crois pas. À quoi bon élire pour ses inventions une date et une patrie ? Que signifie cette préférence, si elle peut être impunément répudiée ? Si le Cinq-Mars de l’histoire n’est pas le Cinq-Mars du poète, il n’en faut rien conclure contre la beauté du roman ; en pareil cas le succès absout. Et puis il se présente une considération décisive, c’est que Cinq-Mars peut être idéalisé plus facilement que Louis xiii ou Richelieu, parce qu’il n’a pas laissé dans la vie publique une trace aussi profonde.

On a fait au roman d’Alfred de Vigny un reproche très peu littéraire. On a dit que toute sa composition était empreinte du préjugé aristocratique. Il me semble qu’il y a pour cette objection une réponse toute simple : Au commencement du xviie siècle, quand Richelieu continuait Louis xi et préparait Louis xiv, le duel politique se vidait entre la noblesse et la royauté ; le tour du peuple n’était pas encore venu. Dans un poème destiné à retracer