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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/556

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REVUE DES DEUX MONDES.

Don Juan.

Commandeur, vois-tu cette étoile qui tremble à l’orient, là-bas ? comment les anges l’appellent-ils ?

Le Commandeur.

Du nom de sainte Anne, sœur de Marie.

Don Juan.

Et patrone de ta fille. Maintenant je ne m’étonne plus si depuis une heure elle me fait des signes. Regarde : tandis que ses compagnes s’éparpillent dans les blés ou se mirent au cristal des lacs, elle tient ses rayons fixés sur mon visage, on dirait qu’elle en veut à mes larmes.

Le Commandeur.

Les anges l’appellent sainte Anne.

(Ils suivent en silence l’allée des statues qui conduit aux portes de l’enclos. Don Juan s’arrête de temps en temps et regarde avec admiration.)
Don Juan.

Je te fais compliment sur tes aïeux, commandeur ; quelle majesté surhumaine !

Le Commandeur.

Tels tu les vois en marbre, don Juan, tels ils étaient en chair. Les statuaires de leur temps, braves catholiques et pleins de foi dans l’art, copiaient un homme et ne l’inventaient pas ; ils le reproduisaient après sa mort tel qu’ils l’avaient connu durant sa vie. Mais ce n’est point à dire pour cela qu’il leur manquât l’intelligence du beau idéal ; au contraire, ils l’avaient au plus haut degré ; les portails de toutes nos cathédrales d’Espagne montrent assez qu’ils étaient poètes, ces tailleurs de pierre ! Ils divisaient leur génie en trois parts ; ils donnaient au Christ la beauté pure, à Satan la laideur, ils gardaient la vérité pour l’homme. De nos jours l’art devient incrédule, et c’est une chose déplorable de voir le grand homme obligé de se faire sculpter durant sa vie, et de présider lui-même à ce travail, afin d’empêcher le statuaire de mentir à la nature.

Don Juan.

Quelles têtes ! quelle foi profonde ! Certes des âmes vulgaires ne devaient pas habiter en de pareils corps. Salut, troupe divine !