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REVUE. — CHRONIQUE.

de conquête intérieure ; et, d’un autre côté, tous les actes du maréchal Soult envers l’armée témoignent, de reste, de sa rigueur envers elle. Ce double système a-t-il cessé à la retraite du maréchal Soult ? Il n’est pas possible de le croire. Depuis quatre années que le vieux maréchal était censé diriger les affaires de la France, rien n’avait pu ébranler son pouvoir et son crédit, rien, ni le scandale de ses marchés, ni les fautes que lui faisaient faire si souvent sa dureté et sa colère, ni l’ignorance complète des questions politiques qu’il étalait à tout propos à la tribune. D’où vient donc qu’un souffle de M. Thiers ait pu renverser si facilement ce colosse ? Le nain David a terrassé le géant Goliath, sans avoir même eu la peine de prendre une fronde. Mais on s’en étonnera moins quand on saura que depuis long-temps M. Thiers minait le terrain sur lequel marchait le maréchal Soult. Au château, on ne voulait d’abord rien entendre contre le maréchal, tant on était convaincu que le trône reposait entièrement sur le vainqueur de Toulouse. C’était le maréchal Soult qui avait organisé cette armée sur laquelle on compte, non pas seulement pour se défendre contre les factions, mais pour terrasser ses adversaires politiques, s’ils parvenaient à conquérir la majorité dans les chambres. Cette armée avait marché à Lyon, à Paris, sous les ordres du maréchal, elle eût marché partout ; le maréchal était son chef naturel et son créateur, lui seul pouvait la manier. On n’eût pas dormi une heure de bon sommeil si l’on n’avait senti près de soi le maréchal Soult, cette vieille et solide épée de chevet, dont la seule présence écartait tout danger. Cependant M. Thiers travaillait chaque jour à détruire cette idée ; chaque jour, sa voix grêle s’insinuait plus profondément dans l’oreille royale. Il y glissa avec une rare persévérance des lamentations perpétuelles sur les embarras que la prodigalité du maréchal Soult causait au ministère ; il parla, sans rire et sans se troubler, du mauvais effet que produisait le mystère des pots-de-vin et des fournitures ; il montra l’impossibilité de créer un nombre d’émeutes suffisant pour répondre aux innombrables demandes de crédit que traînait à sa suite le ministère de la guerre ; et enfin, un jour qu’en réponse à toutes ses plaintes, on lui opposa la nécessité de se conserver, à tout prix, l’appui d’un homme dont la défection eût entraîné celle de l’armée, M. Thiers s’engagea à prouver, dans les vingt-quatre heures, que l’armée était lasse du régime violent et brutal auquel l’avait mise le maréchal Soult, et que si ce régime continuait encore quelque temps, des régimens entiers finiraient par se révolter. M. Thiers avait ses preuves toutes prêtes. La police du ministère de l’intérieur avait été chargée de les recueillir dans toutes les garnisons, dans toutes les places de guerre. Il fut reconnu que le régime d’administration militaire du maréchal, qu’on