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ON NE BADINE PAS AVEC L’AMOUR.


Scène ii.


La salle à manger. — On met le couvert.


Entre maître BRIDAINE.

Cela est certain ; on lui donnera encore aujourd’hui la place d’honneur. Cette chaise que j’ai occupée si long-temps à la droite du baron sera la proie du gouverneur. Ô malheureux que je suis ! Un âne bâté, un ivrogne sans pudeur, me relègue au bas bout de la table ! Le majordome lui versera le premier verre de Malaga, et lorsque les plats arriveront à moi, ils seront à moitié froids, et les meilleurs morceaux déjà avalés ; il ne restera plus autour des perdreaux ni choux ni carottes. Ô sainte église catholique ! Qu’on lui ait donné cette place hier, cela se concevait ; il venait d’arriver, c’était la première fois, depuis nombre d’années, qu’il s’asseyait à cette table. Dieu ! comme il dévorait ! non, rien ne me restera, que des os et des pattes de poulet. Je ne souffrirai pas cet affront. Adieu, vénérable fauteuil où je me suis renversé tant de fois, gorgé de mets succulens ! Adieu, bouteilles cachetées, fumet sans pareil de venaisons cuites à point ! Adieu, table splendide, noble salle à manger ; je ne dirai plus le benedicite ! Je retourne à ma cure ; on ne me verra pas confondu parmi la foule des convives, et j’aime mieux, comme César, être le premier au village que le second dans Rome.

(Il sort.)


Scène iii.


Un champ devant une petite maison.


Entrent ROSETTE et PERDICAN.
PERDICAN.

Puisque ta mère n’y est pas, viens faire un tour de promenade.

ROSETTE.

Croyez-vous que cela me fasse du bien, tous ces baisers que vous me donnez ?

PERDICAN.

Quel mal y trouves-tu ? Je t’embrasserais devant ta mère. N’es-tu pas la sœur de Camille ? ne suis-je pas ton frère comme je suis le sien ?

ROSETTE.

Des mots sont des mots, et des baisers sont des baisers. Je n’ai guère