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REVUE LITTÉRAIRE.

les principes de la méthode d’enseignement perfectionnée par l’abbé de l’Épée. Cet ouvrage était enrichi de notes curieuses sur l’histoire de l’éducation des sourds-muets, dont les premiers essais publics remontent à la fin du seizième siècle ; il reproduisait fidèlement tout ce que la science actuelle possède de notions exactes sur l’étude des sensations et des relations de l’homme avec le monde extérieur ; il était écrit simplement, avec la naïveté de bienveillance qui caractérise les écrivains de cette école philantropique ; il était divisé convenablement et selon toutes les rigueurs de l’évidence philosophique.

Toutes les qualités que nous avions remarquées au livre de M. Bébian, se sont tournées en défauts dans celui de M. Paulmier. Ici l’accessoire absorbe le fonds, l’anecdote étouffe le raisonnement, la disjonction remplace la division, la puérilité et l’embarras vous arrêtent à chaque page. Et puis ce terre-à-terre a encore une emphase qui irrite et des sinuosités importunes qui fatiguent. C’est faire un reproche accablant à ce livre que de dire qu’il est inutile, — trop surchargé de détails oiseux pour se laisser saisir par les intelligences simples des sourds-muets, — trop privé de grands aperçus pour intéresser les lecteurs ordinaires.

Jusqu’à ce jour, l’éducation des sourds-muets a été personnelle, c’est-à-dire qu’on commence leur langue avec le côté individuel des sensations de chacun d’eux. Et au lieu de faire de cette particularité une initiation à une langue commune, il est arrivé souvent qu’on l’a arbitrairement érigée en généralité. C’est ainsi, par exemple, que, dans le langage figuratif des sourds-muets, la ville de Rouen est désignée par le signe employé originellement pour nommer un jeune élève qui y était né. Une si grande liberté dans la relation des signes et des choses nous paraît effrayante. Et il serait à désirer que les professeurs s’occupassent sérieusement de la composition d’un vocabulaire de signes plus rationnel et plus assuré.

Cette question, capitale entre toutes celles qu’on peut poser à ce sujet, semble n’avoir arrêté M. Paulmier que légèrement : « Tous les gestes des sourds-muets sont des mouvemens du corps et de la physionomie. Si l’on pouvait réduire ces mouvemens en petit nombre et les représenter par des caractères radicaux, on aurait fixé le langage d’action, on en aurait fait une langue. Ce système nous paraît difficile à trouver. » Et voici la raison avec laquelle M. Paulmier console sa paresse : « Les signes sont enfans de l’imagination et de la poésie ; ils doivent en avoir la mobilité (pag. 114). » M. Paulmier ne sait-il donc pas que la nature physique, symbole et vêtement de toute poésie, est aussi la base des sciences exactes et mathémathiques ? Au lieu d’enfler le succès de sa