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LA DERNIÈRE CRISE MINISTÉRIELLE.

que, et que la bourgeoisie, fatiguée d’émeutes, brutalement avide d’ordre, aurait tout sacrifié pour conserver la paix des rues. M. Charles Dupin lui-même, dans son installation au ministère de la marine, avait annoncé à ses employés que le gouvernement allait revenir aux principes de la révolution ; M. Teste préparait dans ce sens ses circulaires, et M. Dupin aîné parlait ainsi dans ses salons. Et précisément, c’était cette tendance dans des hommes faibles qui les perdait complètement au château des Tuileries : « Changer de système, y disait-on, n’était-ce pas insulter le roi ? Restaurer la révolution de juillet, n’était-ce pas dire que le prince l’avait méconnue et flétrie ? Ce qu’on voulait restaurer, c’était l’émeute, la guerre étrangère, en un mot, le ministère Laffitte. »

Le 13, à quatre heures du soir, un bruit fut répandu : « le ministère Bassano a donné sa démission. » D’où venait ce bruit ? Quelle était sa source ? N’émanait-il pas de cette même origine qui avait cherché à compromettre M. Molé et à perdre d’autres sommités parlementaires ? Voici ce qu’il y avait de vrai. À deux heures, MM. Passy et Teste avaient eu une conférence entre eux ; ils avaient échangé leurs dégoûts, épanché leurs faiblesses, et avaient parlé de démissions ; ce n’était là encore qu’une simple conversation. M. Passy avait eu surtout l’imprudence d’exprimer ces mêmes dégoûts en présence de quelques émissaires doctrinaires qui les répandirent en toute hâte. Il en avait dit un mot à M. Mauguin, qui en parla à son tour. M. Passy était le seul homme important et parlementaire dans le conseil ; l’entraîner à une démission, c’était une victoire ; on alla même jusqu’à lui proposer de faire partie d’une autre combinaison avec M. Thiers, s’il voulait abandonner un ministère incapable de vivre.

Le soir, à six heures, il y eut dîner chez M. Dupin ; le président de la chambre, avec ses manies de fusion d’amis et d’ennemis, plaçait en face des physionomies qui s’étaient disputées la veille ; il n’y fut point question des démissions et des bruits répandus jusqu’à huit heures du soir que parut le Messager. Le Messager annonçait la nouvelle de cette retraite ministérielle, nouvelle qu’il tenait d’excellente source, car M. Teste et M. Passy l’avaient confiée à des amis communs. On rit officiellement de ces démissions ; ceux-là même qui les désiraient et les croyaient, les repoussèrent comme un de ces mille mensonges que la presse mettait en circulation, et M. Dupin s’écria : « Ah ! c’est trop fort ! M. de Bassano, vous avez donné votre démission ! Nous aurions aussi nos trois grandes journées ! » Deux heures après, M. Dupin faisait circuler dans les journaux soumis à son action un démenti moqueur à la nouvelle publiée par le Messager.