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sources qui venaient sourdre à la surface de la terre : je pensai qu’elles devaient être ferrugineuses et je les goûtai. Je ne m’étais pas trompé ; c’était la rouille qui donnait à la neige cette teinte rougeâtre qui m’avait étonné d’abord.

Pendant que j’examinais ce phénomène et que je cherchais à m’en rendre compte, Francesco vint à moi, et d’un air assez embarrassé, me demanda ma gourde qu’il s’était chargé de faire remplir le matin à Obergestelen, et dans laquelle il avait versé du vin au lieu de kirchenwasser ; je m’étais aperçu de cette méprise en route seulement, et je n’avais pu deviner pour quel motif Francesco avait ainsi manqué aux instructions que je lui avais données ; mais comme la liqueur substituée à celle que je buvais habituellement était un excellent vin rouge d’Italie, je n’avais pas considéré cette infraction à mes ordres comme un grand malheur.

Francesco, en me demandant ma gourde, ramena ma pensée sur ce petit incident que j’avais déjà oublié. Je crus qu’une mesure d’hygiène personnelle lui faisait préférer le vin d’Italie à l’eau de cerise des Alpes, et qu’il allait, en portant ma gourde à sa bouche, me donner une preuve de cette préférence. Je le suivis donc du coin de l’œil, tout en ayant l’air de ne le point regarder, mais cependant sans perdre de vue un seul de ses mouvemens.

Rien de ce que j’avais soupçonné n’arriva ; Francesco alla se placer sur la crête la plus élevée de la montagne, et à cheval, pour ainsi dire, sur les deux versans, il fit deux fois le signe de la croix, une fois tourné vers l’occident et l’autre fois vers l’orient ; puis versant du vin dans le creux de sa main, il jeta en l’air le liquide, qui retomba autour de lui comme une pluie dont chaque goutte faisait sur la neige une petite tache rouge, assez pareille, par la couleur, aux grandes taches dont je venais de découvrir la cause. Enfin cette espèce d’exorcisme achevé, Francesco me remit la gourde sans avoir même pensé à l’approcher de ses lèvres.

— Quelle cérémonie d’enfer viens-tu de faire ? lui dis-je en replaçant la gourde à mon côté.

— Ah ! me répondit-il, c’est une précaution pour qu’il ne nous arrive pas d’accident.

— Comment cela ?

— Oui ; nous sommes sur la route d’Italie, n’est-ce pas ? c’est par