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REVUE. — CHRONIQUE.

négligé, faute de science, où, quand la mélodie n’est pas vulgaire, elle manque ? Il est à remarquer que la médiocrité procède partout de la même façon.

Un musicien français croit avoir écrit un opéra lorsqu’il a composé deux couplets bien communs pour la voix de M. Thénard. Aussitôt que la cavatine de Rubini s’est trouvée, un Italien a fait une œuvre. Tous les deux veulent un succès ; l’un compte sur l’ignorance du public, l’autre sur la voix d’un chanteur admirable. Mais si dans de pareilles spéculations, peu dignes d’un artiste, il arrive quelquefois au Français de réussir, l’Italien échoue au contraire toujours ; car le public a dès long-temps compris la ruse, et n’en peut être dupe. Aussi, pour empêcher le maître de s’attribuer une acclamation qu’il ne mérite pas, il s’abstient parfaitement d’applaudir. On m’a dit que l’auteur de la musique d’Ernani avait composé des nocturnes charmans, qu’il accompagne avec un goût exquis. Je l’exhorte beaucoup à persévérer dans ce genre gracieux.

L’administration du Théâtre-Italien me paraît surtout fort habile à composer son répertoire. Après s’être élevée, par une succession rapide d’opéras remarquables, jusqu’à la partition de Mosè, divin chef-d’œuvre exécuté d’une façon non pareille, elle a senti qu’il était impossible de produire immédiatement un effet aussi beau, et qu’il fallait descendre pour atteindre encore une fois à cette hauteur ; elle est descendue en effet à Ernani, mais pour remonter plus vite par Anna Bolena jusqu’à la Sémiramide. C’est là, je l’avoue, un calcul excellent, et rien ne me paraît plus propre à varier les plaisirs que ces harmonieuses ondulations.

Anna Bolena est sans contredit le meilleur ouvrage qui nous soit venu d’Italie depuis que Rossini habite en France. C’est là une partition simple et mélodieuse, sinon complètement originale ; pleine de chants gracieux et purs et d’intentions heureuses. L’orchestre est écrit avec un soin, une délicatesse bien rares aujourd’hui. Certes, cette musique n’est pas inspirée et profonde ; elle ne sait point vous ravir par des effets inattendus jusque dans le ciel de Mozart ou de Cimarosa, mais on en suit avec plaisir les développemens faciles de l’introduction ; aux dernières mesures elle vous charme comme l’œuvre d’un homme de talent. En général, l’instrumentation en est habile et soutenue, la mélodie ingénieuse. On peut lui reprocher de manquer en certains endroits de franchise et d’entraînement, mais non de grâce et de distinction. Au premier acte, le duo entre Henri viii et Jeanne est surtout bien conduit ; j’aime cet accompagnement qui revient sans cesse durant toute la première partie, et ne disparaît de l’orchestre que vers la fin, lorsque le chant passe dans les voix. Ce morceau grave et calme fait un contraste heureux avec le duo si passionné du