Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/772

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
772
REVUE DES DEUX MONDES.

second acte. Ici la situation est belle et dramatique : Jeanne, instruite de l’amour et des projets du roi, vient se jeter aux pieds d’Anna déjà répudiée, et lui demander pardon d’être sa rivale. Le jeune maître a noblement tiré parti de cette scène, et sa musique est ardente et passionnée, mélancolique et plaintive, selon que la colère d’Anne éclate avec transport aux premiers aveux de la jeune fille, ou qu’elle se résigne et se prend de compassion pour elle. Donnizetti triomphe surtout dans l’expression d’un sentiment tendre et mélancolique ; le caractère de Percy lui appartient. Cette douce et blanche figure, placée à dessein dans le fond, est d’un effet charmant. Après les invectives brutales du roi, on n’écoute pas sans émotion cette voix qui répond à la plainte d’Anne et la console. Percy, en traversant la scène, répand comme un parfum certaines mélodies naïves et fraîches, qu’on oublierait peut-être si toutes ne revenaient dans la grande scène de la reine, tristes et sombres comme les pensées de bonheur dans la misère. Le trio s’ouvre par un chant d’une belle et simple expression. La strette finale, que Lablache enlève avec tant d’impétuosité, conclurait dignement ce morceau, si les imitateurs de Rossini n’avaient tant fait abus de cette manière de procéder. Toute la dernière scène est écrite et traitée avec un goût parfait. Les plus fraîches idées de l’ouvrage reparaissent sur un harmonieux tissu, et semblent nouvelles par l’instrumentation que l’artiste leur donne et les chants inouis qu’il a semés autour. Toute cette scène est belle et poétique pendant laquelle la reine en délire, tantôt pleurante au souvenir des amours de Percy, tantôt priant Dieu pour sa rivale couronnée, effeuille dans ses mains les plus charmantes mélodies de l’ouvrage, comme Orphélia sa couronne de fleurs. Giulia Grisi, dont les succès avaient été d’abord incertains lors de sa rentrée dans la Gazza, vient de se placer haut par la manière poétique dont elle a conçu et exécuté le rôle d’Anna. Durant tout le cours de l’ouvrage, elle a constamment été tragédienne grande et belle, et presque toujours sa voix a répondu aux appels de son ame. Elle chante sa première cavatine avec une exquise pureté. Rien n’est joli, délicat et fin, comme les petites notes cristallines dont elle brode sa mélodie. Dans la grande scène avec Jeanne, elle trouve des intonations admirables, de sublimes élans de tragédienne. Il faut voir ce visage pâlir, ces yeux s’enflammer de colère, ces bras, divins et purs comme le marbre antique, se lever et se tordre, pour comprendre combien sa beauté naturelle est un aide puissant au théâtre. C’est là que Giulia Grisi est surtout admirable, parce qu’elle s’abandonne toute entière à ses propres inspirations. Dans le finale, il me semble qu’elle imite un peu trop les gestes et la démarche de Mme Pasta, et puis son chant, qui est moins irréprochable que dans la première par-