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nues, sera-t-il défendu à l’astronome de tracer d’avance des conseils pour le courage des nouveaux Argonautes ? Si rien n’arrête les lointaines excursions de Mungo-Park, sera-t-il donné à quelqu’un de parquer les investigations de Herschell ? Il y a, qu’on y prenne garde, une invention dialectique, aussi hardie, aussi laborieuse, aussi individuelle que l’invention poétique. Mais comme les procédés ne sont pas les mêmes, il est simple et nécessaire que le dialecticien et le poète ne se rencontrent pas constamment. Souvent le premier prévoit ce que le second n’accomplit pas, souvent le second réalise ce que le premier n’avait pas prévu ; mais il y a dissidence et non pas contradiction ; des deux parts c’est la même bonne foi et la même franchise. Quelques jours encore, et le dialecticien expliquera la création du poète, le poète réalisera les prévisions du dialecticien. Entre ces deux emplois de l’intelligence, il ne doit y avoir ni jalousie, ni haine, ni hostilité, mais bien une émulation fraternelle et paisible, un mutuel encouragement à de nouvelles tentatives. Dans cette lutte qui peut être glorieuse, le dédain et l’ironie sont de mauvaise guerre ; mépriser celui qui demeure, railler celui qui marche, des deux parts c’est pareille folie.

Que les poètes n’accusent plus d’outrecuidance la critique libre et personnelle, qu’ils ne plissent pas la lèvre en signe de pitié, chaque fois qu’une intelligence réfléchie s’applique à les comprendre, à les interpréter. Dans aucun cas, la réflexion indépendante ne prétend se substituer à l’invention : car le poète agit, et le critique délibère. Si assuré qu’il soit de la vérité, dès-lors qu’il s’abstient de réaliser sa pensée sous forme d’œuvre, il ne dépasse pas les limites du doute savant. Cette distinction, si triviale en apparence, est loin d’être puérile. À Phidias, à Raphaël, à Cimarosa, à Palladio, les moyens d’exécution peuvent manquer. Sans Périclès, sans Léon x, qui sait si nous aurions les métopes du Parthénon et la Salle de la Signature ? Mais à Goëthe, s’il veut se révéler, la parole ne refusera jamais d’obéir. La pauvreté, les passions impérieuses pourront sans doute retarder les loisirs et contrarier la volonté qui aspire à la gloire. Mais le temps et l’auditoire ne manquent jamais au poète.

C’est pourquoi celui qui sent en lui-même la force et l’espérance