la brebis défend son agneau contre le loup, et la poule, cachant ses poussins sous son aile, glousse avec colère quand le renard approche ; c’est elle qui meurt la première, et l’ennemi est forcé de passer sur son cadavre pour s’emparer de la famille abandonnée.
Tout cela n’est-il pas digne d’admiration ? et s’il y a des fatigues et des douleurs attachées à ces devoirs, n’y a-t-il pas des ravissemens et des émotions qui les rachètent ? Quand ce ne serait que pour chasser l’ennui que nous éprouvons, ne devrions-nous pas les demander à Dieu ? —
Quand ceux-là eurent dit, il y en eut d’autres qui répondirent : — Avez-vous songé à ce que vous proposez ? Si l’homme se reproduisait sans cesser d’être immortel, la terre ne pourrait bientôt lui suffire. Voulez-vous accepter la maladie, la vieillesse et la mort en échange des biens et des maux dont vous parlez ? Lequel de nous peut concevoir l’idée de mourir ? N’est-ce pas demander à Dieu qu’il fasse de nous la dernière créature du monde ? Lequel de nous voudra renoncer à être ange ?
— Nous ne sommes pas des anges, reprirent les premiers. Les anges que nous voyons dans nos rêves ont des ailes pour parcourir l’immensité, et quoiqu’ils se révèlent à nous sous une forme à peu près semblable à la nôtre, cette forme n’est pas saisissable ; nous ne pouvons les retenir au matin, lorsqu’ils s’éloignent ; nous embrassons le vide ; ils nous échappent comme notre ombre au soleil. Ils n’ont de commun avec nous que l’esprit, lequel n’est que la moitié de nous-mêmes. Nous appartenons à la terre où notre corps est à jamais fixé. Si nous sommes condamnés à la misère d’exister corporellement, pouvons-nous sans injustice être privés des avantages accordés aux autres animaux ? Pourquoi serions-nous imparfaits et déshérités du bonheur qui leur est échu ? —
Ces différens avis excitèrent dans l’esprit des hommes une douloureuse inquiétude. Les uns pensaient qu’en effet la partie physique était incomplète chez eux ; les autres répondaient que l’immortalité, l’absence de maladie et de caducité, étaient des compensations suffisantes à cette absence de sexe.
Et, en effet, rien n’était plus suave et plus paisible en ce temps-là que le sort de l’homme. N’éprouvant que des besoins immédiatement satisfaits par la fécondité de la terre et la liberté commune,