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REVUE DES DEUX MONDES.

Et si cet infini ne m’engloutissait pas,
Un jour on entendrait, sur sa vague aplanie,
D’un chant contemplateur la tranquille harmonie,
Que le siècle présent ne pourrait contenir,
Et qui déborderait sur l’immense avenir.
Laissez pousser le chêne au penchant des collines,
Laissez bercer le temps par les heures divines ;
Qui sait ce que vivra le chêne aux verts sommets ?
Et le temps au berceau grandira-t-il jamais ?
Je ne veux aujourd’hui que préluder encore.
N’as-tu pas observé les monts, lorsque l’aurore
A semé seulement sur leurs fronts diaprés
Un peu de la splendeur de ses beaux doigts dorés ;
Alors l’œil ne voit point les profondes vallées
Et les mille torrens, les plaines ondulées,
Les lointaines cités qu’il comptera plus tard,
Les abîmes profonds encombrés de brouillard ;
Alors l’œil voit à peine au loin des cimes blanches,
D’où l’on entend rouler le bruit des avalanches ;
Ainsi je veux, mon père, à cette heure effleurer
Le saint mont qui, pour moi, commence à s’éclairer,
Sur ton large horizon planant de cime en cime,
Je ne descendrai point sur tes pas dans l’abîme ;
Mais viens, car pour mon vol j’aurai besoin de toi ;
À travers l’infini, mon père, emporte-moi.

CONTEMPLATION PREMIÈRE.

URANIA.

Emporte-moi d’abord dans le pays des nombres[1],
Muette région, comme celle des ombres,
Où ne se mêle rien des choses d’ici-bas,
Ni mouvement, ni forme ; où ne pénètre pas

  1. L’arithmologie, ou science des nombres.