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long-temps, sont comme les habitués de la maison ; on les laisse passer sans leur rien demander. Mais il n’existe pas un écrivain éloquent ou penseur, dont le style ne contienne des expressions qui ont étonné ceux qui les ont lues pour la première fois, ceux du moins que la hauteur des idées ou la chaleur de l’ame n’avaient point entraînés. » Mme de Staël, on le voit, ne se contentait pas à si bon marché que Boileau écrivant à Brossette : « Bayle est un grand génie. C’est un homme marqué au bon coin. Son style est fort clair et fort net, on entend tout ce qu’il dit. » Elle pensait, et avec raison, qu’il y a un coin un peu meilleur, une marque de style encore supérieure à celle-là. Sa seconde édition donna lieu à un article des Débats, où il était dit en terminant, comme par réponse au précédent passage de la nouvelle préface : « Tous les bons littérateurs conviennent que la forme de notre langue a été fixée et déterminée par les grands écrivains du siècle dernier et de l’autre. Il faut distinguer dans un idiome ce qui appartient au goût et à l’imagination de ce qui n’est pas de leur ressort. Rien n’empêche aujourd’hui d’inventer de nouveaux mots, lorsqu’ils sont devenus absolument nécessaires. Mais nous ne devons plus inventer de nouvelles figures, sous peine de dénaturer notre langue ou de blesser son génie. » Il y eut à cette étrange assertion une réponse directe de la Décade, qui me paraît être de Ginguené : le critique philosophe se trouve induit à être tout-à-fait novateur en littérature, pour réfuter le critique des Débats, dont l’esprit ne veut pas se perfectionner : « S’il y avait eu des journalistes du temps de Corneille, qu’ils eussent tenu un pareil langage, et que Corneille et ses successeurs eussent été assez sots pour les croire, notre littérature ne se serait pas élevée au-dessus de Malherbe, de Régnier, de Voiture et de Brébeuf. Cet homme est le même qui veut continuer l’Année littéraire de Fréron, il en est digne. » On voit que c’est à Geoffroy que Ginguené imputait, peut-être à tort, l’article des Débats. Il est naturellement amené à citer une remarquable note de Lemercier ajoutée au poème d’Homère qui venait de paraître : « Les pédans, disait Lemercier alors novateur, épiloguent les mots et n’aperçoivent pas les choses. On se donne beaucoup de peine, en écrivant, pour faire ce qu’ils nomment des négligences de style. Subligny trouva quatre cents fautes dans l’Andromaque de