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avec une nouvelle théorie de la mécanique céleste, je comprendrais très bien qu’il dît à la majorité : Vous n’êtes pas compétens. S’il avait fabriqué lui-même pour son œil avare et persévérant des lentilles ignorées du monde entier ; s’il avait construit sur ses études égoïstes une série de formules toutes puissantes, il pourrait sans folie dire encore, même à la minorité savante : Vous n’êtes pas compétens ; vous ne savez pas d’où je suis parti, vous ne savez pas quelles routes j’ai frayées et parcourues : abstenez-vous et attendez. Mais l’étoffe brodée par la fantaisie de M. Hugo est maniée par tout le monde. Il n’a pas inventé la famille et la patrie, il n’a pas créé de toutes pièces les sentimens qu’il met aux prises. La trame où il promène son aiguille est de laine ou de soie. Il n’a pas dérobé la toison d’une brebis mystérieuse pour tisser la pourpre de son manteau. L’airain qu’il coule dans le sable est tiré d’une mine où nous pouvons fouiller comme lui. Qu’il donne au métal des formes savantes, qu’il imprime à son œuvre le sceau d’un génie tout puissant ; mais si la statue qu’il signe de son nom représente l’un de nous, qu’il se résigne à être jugé. Si les héros qu’il nous montre ne sont d’aucun pays ni d’aucune race connue, la foule indifférente ne prendra pas la peine de les oublier ; elle ne les regardera pas.

Si la critique est incompétente, comme le disent les disciples de M. Hugo, il faut de toute nécessité que les drames du maître soient au-dessus de l’humanité, c’est-à-dire monstrueux ou divins. Le dilemme implacable où s’enferme le novateur n’a que deux issues, toutes les deux terribles et difficiles à franchir : qu’il monte au ciel, et nous inscrirons son assomption parmi les fêtes de l’église ; ou qu’il descende jusqu’au ridicule, et nos voix ne craindront pas de s’enrouer dans la moquerie.

Que les ames bienveillantes et timides s’inclinent respectueusement devant l’attitude impérieuse de M. Hugo, je n’ai pas de peine à le comprendre ; que des esprits jeunes et enthousiastes prennent la volonté pour la puissance et se dévouent à la fortune de l’aventurier ; que des orgueils parasites se greffent sur l’orgueil du maître et se glorifient dans son espérance, tout cela est simple et pouvait se prévoir. Autour des novateurs, il y a toujours des curiosités bruyantes qui ne chaussent pas l’éperon, mais qui regardent la bataille ; qui ne vont pas au-devant de l’épée, mais qui maudissent courageusement