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REVUE DES DEUX MONDES.

il est né avec l’Opéra-Comique. Tant que l’Opéra-Comique existera, M. Adam sera là pour lui composer des refrains à chaque nouvelle mue, et lui lever des habits à sa taille.

L’Opéra a profité de l’absence de Mlle Taglioni et de la saison des chaleurs pour remettre au répertoire plusieurs ouvrages qui semblaient en avoir été exclus tout-à-fait. On a repris le Don Juan de Mozart, devant un public peu nombreux ; n’était Mme Dabadie qui s’obstine à chanter faux avec une persévérance ridicule, l’exécution eût été belle et digne en tout point du chef-d’œuvre ; l’autre jour nous avons entendu le finale de Moïse, musique grandiose et dont Rossini a pu seul trouver de notre temps les vastes dimensions ; hier enfin Guillaume Tell et le Comte Ory dans la même soirée.

La dernière représentation de Robert-le-Diable a été troublée par un petit accident qui n’a point eu de suites, quelque importance que certains journaux aient voulu lui donner. Mlle Falcon a chanté le rôle d’Alice avec toute son ame ; jamais cette voix si éclatante n’avait eu, dans le trio de la fin, une plus admirable expression d’enthousiasme sacré. L’école française est aujourd’hui si féconde en grandes cantatrices, que c’est raison, lorsqu’il s’en rencontre une qui prend son art au sérieux, d’essayer de la rebuter par d’aussi pitoyables moyens ! En vérité, si le public n’avait fait justice d’une telle grossièreté, nous ne serions bientôt plus dignes d’être appelés le peuple le plus élégant et le plus gentilhomme de la terre. De deux théâtres où florissait encore l’aristocratie des bonnes manières et du bon goût, l’un est désert, l’autre envahi. L’Opéra devient tous les jours plus bruyant et plus tumultueux dans son parterre. On siffle maintenant à l’Opéra, on y trépigne ni plus ni moins que si c’était le théâtre des Folies-Dramatiques ou des Funambules ; et si vous cherchez les causes de cette décadence, vous les trouverez dans les torts de l’administration. En sacrifiant l’art à des effets grossiers, les plaisirs de l’intelligence à d’autres plus faciles, on imite les directeurs des théâtres subalternes, et, tout en les imitant, on leur prend leur public. Le jour où le Théâtre Italien aura dans ses opéras, au lieu de musique et de chanteurs, des bals masqués, des conciles et des amas de caparaçons et d’oripeaux, le Théâtre Italien ne choisira plus son public.


Mme Augustin Thierry, dont nos lecteurs n’ont pas oublié les morceaux ingénieux et de piquante observation, publiés autrefois dans la Revue, vient de faire paraître sous le titre de Scènes de mœurs et de caractères au XIXe siècle et au XVIIIe, un volume qui se recommande par de rares qualités de style, un récit simple et touchant. Nous ne serions pas étonnés que ce livre obtint un succès réel auprès des gens de goût qui tiennent encore aux saines traditions de notre langue littéraire. Nous reviendrons quelque jour sur ce volume, ainsi que sur le recueil de Dix ans d’Études historiques, que M. Augustin Thierry nous a donné naguère. Tout ce qui sort de la plume de l’illustre écrivain mérite une attention sérieuse.


F. BULOZ.