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ÉRASME.

vrier qui lui remet des épreuves ; — pourquoi craindrais-je la langue de la presse ? — écrivant à la porte de l’imprimerie de Froben pour économiser le temps, suffisant à tout, rarement découragé, même aux deux époques de l’année où se tient la foire de Francfort, au printemps et au commencement de l’automne, époques où tous les libraires attendent ses livres, « où de tous les points du monde lui arrivent par tas » des lettres de toutes sortes de correspondans, avides de montrer à leurs amis une réponse où ils seront finement loués, papes, rois, princes, prélats, hommes, femmes, abbesses de couvent, nonnes, châtelaines, correspondans si nombreux, si exigeans, que sa santé y succombe, et que, pour échapper aux réponses développées et catégoriques, il est obligé de faire à quelques-uns l’innocent mensonge qu’il a perdu leurs lettres, et qu’il n’y pourrait répondre de point en point !

Ce n’est pas la paisible universalité de Voltaire, riche, indépendant, pouvant faire des dons de ses livres, écrivant à qui lui plaît, et seulement quand il est sûr du résultat de ses digestions, honorant ses correspondans, sauf les souverains, de billets plutôt que de lettres, attendu plutôt que pressé, ayant beaucoup de loisirs, et pas un ennemi sérieux. Érasme ne s’appartient pas ; malade, mourant, il faut qu’il soit à sa tâche ; il faut qu’il dicte pour se reposer d’écrire, qu’il écrive pour se reposer de dicter ; il faut qu’il use sa vie au service des autres, sans en garder une heure pour lui, qu’il sourie dans les douleurs, qu’il tourne de jolies phrases aux princes lettrés dans les angoisses de sa gravelle, et qu’il distille des flatteries sur son lit de souffrance ; martyr à la fois des plus grandes et des plus petites choses de son époque, de la liberté de conscience et de la manie de controverse, de la puissance et de la mode. — Et tout cela dans les incertitudes d’une vie précaire, avec les dons de quelques princes obérés pour tout fonds de fortune, et le casuel de ses écrits plus admirés que payés ; entouré d’ennemis puissans qui peuvent lancer contre lui les populaces catholiques de la Flandre et de l’Allemagne, au milieu de la peste et de la guerre, dans les sales auberges de l’Allemagne, ou dans des villes en sédition, non pas même avec la santé seulement délicate de Voltaire, santé choyée et mise en serre chaude par un médecin à demeure, mais avec