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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/556

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REVUE DES DEUX MONDES.

sénat maître des rois, les tribus, le droit du préteur, les provinces, les colonies, les municipes, les alliés. « Que sais-je ? dit plaisamment Érasme : comment ne se souvint-il pas des clepsydres. »

Le même Longueil, réfutant Luther, ose à peine prononcer le nom de chrétien qui ne se trouve pas dans Cicéron, et au lieu de foi il emploie le mot persuasion.

Il y avait des fanatiques de l’antiquité latine qui faisaient prédire à Protée la venue de Jésus-Christ, qui appelaient la Vierge espoir des hommes et des Dieux, qui faisaient le récit de la passion de Jésus-Christ avec des centons d’Homère et de Virgile : plus cicéroniens que Cicéron, plus païens qu’Homère et Virgile, de l’espèce de ce pauvre homme qui, malade d’une autre imitation, ayant vu Érasme se servir d’une plume attachée à un petit bâton, attacha des petits bâtons à toutes ses plumes, dans la pensée que la plume faisait les trois quarts de l’écrivain.

Cette folie des cicéroniens, née de cet orgueil de l’Italie dont j’ai parlé plus haut, Érasme l’attaqua dans un dialogue intitulé Dialogue Cicéronien[1], petit ouvrage plein de sens et de critique, où Cicéron est jugé avec profondeur, et où ses copistes sont raillés finement, et leur ridicule touché d’une main à laquelle la vieillesse et l’habitude des dissertations religieuses n’avaient pas ôté de sa légèreté. C’est Boulophore, l’homme de bon conseil, qui défend la liberté de l’écrivain et la convenance nécessaire d’un style nouveau pour des idées nouvelles, chrétien pour des idées chrétiennes, contre Nosoponus, l’ennemi du travail, lequel se corrige à la fin de l’entretien. Dans ce dialogue, comme dans plusieurs autres, comme dans presque toutes ses lettres, Érasme était plus près de Cicéron que ses absurdes imitateurs. C’est qu’au lieu de calquer ses formes de style, il l’imitait par la pensée, par la suite, par le lien des idées, par les procédés de composition que les écrivains illustres se transmettent, mais ne se volent point. Érasme pensait en latin, s’échauffait en latin, aimait et haïssait en latin. Jamais il n’avait eu une idée littéraire en hollandais ou en allemand. La langue de sa nourrice lui fournissait de quoi com-

  1. Dialogus Ciceronianus, seu de optimo dicendi genere.