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L’ÉGYPTE MODERNE.

puissantes conceptions, et Mohamed-Ali s’est fait son exécuteur testamentaire, en interprétant ses volontés plus largement que Ptolémée-Lagus n’avait compris celles d’Alexandre. Le premier soin du vice-roi, dès qu’il put disposer des fellahs, fut de creuser le Mahmoudiéh entre Alexandrie et la branche de Rosette. Bientôt après, il ouvrit un autre canal pour arroser les terres de Toumlât. Son infatigable persévérance, au milieu des plus graves embarras politiques, releva les digues, rétablit les courans indispensables, et fit face aux exigences les plus impérieuses de la culture et de la viabilité. Mais ce n’était là que le prélude de gigantesques entreprises.

S’inspirant des besoins généraux du pays et des plans réparateurs de Napoléon, Mohamed-Ali conçut en 1834 le projet de barrer le Nil, d’abord pour le déverser sur le Delta au temps de l’inondation et pour alimenter l’irrigation même à l’époque des plus basses eaux, en second lieu pour diriger sur l’espace intermédiaire et sur les deux extrémités du littoral égyptien trois canaux principaux qui, entraînant les eaux des lagunes à la mer, assureraient la dessication et la fertilité des terrains occupés maintenant par de stériles marécages.

Ce projet a déjà reçu un commencement d’exécution. Deux officiers français ont achevé les tracés et toute la théorie du travail. Un camp dressé entre les deux branches du Nil, au sommet du Delta, a été couvert d’ateliers, de magasins, de fours et d’une quantité prodigieuse de matériaux. Douze mille hommes, avant-garde d’une nombreuse armée de travailleurs, ont ouvert deux tranchées formant les cordes des deux arcs décrits par les branches du Nil à la hauteur de Daraoueh et de Kaffre-Mansour. Ce sont ces tranchées, destinées à devenir les nouveaux lits du fleuve, qui doivent recevoir les barrages, massifs de maçonnerie hauts de quarante pieds et larges de trois à quatre cents mètres. La quantité de pierres nécessaire à ces massifs est égale à celle que contient la grande pyramide, dont la construction occupa cent mille hommes pendant vingt ans. Le calcul a déjà démontré que toutes les machines à vapeur de l’Angleterre, mises en activité par trente mille hommes, achèveraient un travail équivalent à la pyramide de Chéops dans l’espace de dix-huit heures. Par les barrages, la