ses excès l’avaient bientôt fait expulser des écoles ; alors il s’était livré aveuglément aux dérèglemens les plus frénétiques. Balloté entre ses appétits de bête fauve et ses scrupules de chrétien, il s’était jeté, tour à tour, dans les désordres et les repentirs ; il s’était fait soudard, pillant les campagnes du Léonnais, violant les femmes et incendiant les fermes ; puis on l’avait vu, deux mois entiers, au haut du Menez-Brée, dans une grotte humide, couché sur la pierre, et criant ses remords à Dieu. De si monstrueuses prodigalités d’imagination, de sensibilité et d’intelligence l’avaient épuisé, et il s’était trouvé conduit, jeune encore, à cette sorte d’hébétation dans laquelle il croupissait alors, et que traversaient à peine, de temps en temps, quelques lueurs de son énergique vitalité d’autrefois. Vers l’âge de vingt ans, et dans une de ces crises qui secouèrent tant de fois sa vie, il avait composé l’étrange drame de Saint Guillaume qui avait eu dans le pays un succès immense, et que toute la Bretagne était venu voir à Guingamp, où il avait été représenté. Mais Olier Morvan n’était plus, au moment où se passait la scène que nous décrivons, qu’un pâle fantôme de lui-même. Incapable de tout travail, et poussé par l’instinct de la conservation, il avait songé à tirer profit de la beauté de sa voix, et il s’était fait recevoir chantre de la paroisse de Bréhand-Loudéac. Ce n’était guère qu’au lutrin, pendant les plus belles cérémonies de l’année, lorsque l’église était embaumée d’encens, les dalles couvertes de genêts fleuris, et les cierges allumés, qu’il semblait encore, parfois, se retrouver lui-même, et que l’intelligence descendait dans ce crâne vide et mort. Alors sa voix prenait une expression impossible à dire. On l’entendait dominer les chants de l’église par des accens si suaves et si terribles, par des inflexions si incisives et si enivrantes, qu’un vague saisissement courait dans la foule, et qu’on se disait à l’oreille avec une sorte d’effroi : — Morvan pense aujourd’hui ! — Mais ces élans étaient courts. Au sortir de l’office, où il avait retrouvé un sublime éclair de raison, il venait, au cabaret, noyer dans l’ivresse sa vague tristesse d’idiot, et les autres buveurs lui faisaient place près d’eux, en souvenir de ce qu’il avait été ; et ils remplissaient son verre comme ils eussent fait de celui d’un absent ou d’un mort, par une sorte de survivance d’amitié et d’admiration pour l’ombre de ce qui avait été autrefois un grand poète.
Au moment où nous avons introduit nos lecteurs dans la taverne de la Résurrection de notre Sauveur, les pichets avaient été déjà remplis et vidés plusieurs fois, et les douces fumées du cidre commençaient à exciter les buveurs égayés par un feu d’ajonc qui flambait dans l’âtre. Ils s’abandonnaient à ce plaisir égoïste qui naît instinctivement chez nous de la comparaison d’un bien-être dont nous jouissons et d’une