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REVUE DES DEUX MONDES.


La scène suivante se passe à la cour du roi de la Petite-Bretagne, qui déplore la disparition de sa femme, et qui pleure amèrement, parce que le doux visage de Triffine n’est plus là pour le réjouir.

ARTHUR.

Mes princes, gens de ma maison, j’ai une grande mélancolie dans le cœur de ne savoir ce qu’est devenue ma femme. Hélas ! je crains que dans son trouble elle ne se soit jetée à la mort. — Triffine, Triffine, as-tu pu être si prompte à t’effrayer, si prompte à fuir d’auprès de moi ? Étais-je donc si terrible avec toi ? ne savais-tu pas bien que je n’aurais pu te perdre, et que la corde du gibet que je voulais passer à ton cou se serait bien vite changée en deux bras caressans ? Si tu n’avais péché, que ne restais-tu à la maison ? Mes gens, oh ! je vous en supplie, cherchez-moi ma femme, et tirez-moi de peine. Oh ! mes gens, donnez-moi des nouvelles de Triffine, car il y a dans mon ame un grand chagrin à cause d’elle.

Mais les gens d’Arthur ne savent rien de la reine. Le roi se résout à envoyer un messager pour la chercher par toute la Bretagne. Le messager va par le pays, assemblant les hommes au son de sa trompe, et demandant à tous s’ils n’ont point vu Triffine, la reine de la Petite-Bretagne.

Elle est petite, dit-il ; elle a les yeux noirs et plus doux que ceux d’une brebis ; elle est rose, et tout son visage est si beau, qu’on le dirait doré par le reflet d’une étoile. Mais nul ne peut dire qu’il a vu la femme que cherche Arthur, et le messager revient tristement vers le roi, qui est seul et qui pleure toujours.

Triffine aussi est bien malheureuse chez la duchesse d’Orléans. Il y a là une vieille gouvernante qui la bat, et qui finit par l’envoyer garder les pourceaux. Triffine arrive à l’endroit où est le troupeau, et elle parle à celui qui le conduit.

TRIFFINE.

Venez ici, jeune garçon ; retournez à la ville, et moi je resterai à votre place près des pourceaux, pour les garder toujours.

LE GARÇON.

Comment, vous voulez rester ici seule ? une belle fille comme vous, garder ces pourceaux ! Il vous faudrait trouver un bon ami pour vous garder vous-même ainsi que ces animaux, (s’approchant de Triffine.) Moi, j’aurais un grand désir de rester ici avec vous. Le temps nous paraîtrait plus court à tous deux. Lorsque le ciel serait bleu, nous pourrions nous amuser dans les campagnes, et quand il sera triste, nous irons causer dans le creux de quelque rocher. (Il s’approche encore) Écoute-moi, jeune fille, si tu veux, nous ferons une convention. Tu consentiras à ce que je désire, et moi je ferai dès l’aurore ton travail et le mien.