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furent parfaitement satisfaits. Quand ils surent que j’étais Français, ils ouvrirent de grands yeux ; j’étais le premier qui fut venu sur le lac du Tind, et tout de suite ils me demandèrent si j’avais servi sous Napoléon. C’est une question qu’en pays étranger on adresse aux Français, quel que soit leur âge. Pour le commun des hommes, qui sent et ne réfléchit pas, Napoléon est un être de tous les temps et de tous les lieux ; c’est la personnification de la France ; un Français qui ne s’est pas battu sous lui est une anomalie. Cependant le vent d’est s’était élevé ; la voile avait succédé à la rame, et nous courions rapidement sur l’onde à peine agitée. En nous couchant sur le bord de la barque, nous voyions fuir sous nous les longues herbes qui tapissaient le fond à quarante pieds de profondeur ; la truite, alarmée de notre approche, s’en échappait comme une flèche, et se réfugiait dans une touffe plus épaisse ; les hallebrands plongeaient en nous voyant venir, et, passant sous notre bateau comme des points noirs, remontaient sur l’eau derrière nous. Bientôt nous vîmes s’ouvrir à notre droite Westfiord. C’est l’entrée de la vallée de Gousta ; nous touchions au but de notre excursion. Nous descendîmes sur une plage bien cultivée et couverte de maisons ; et, laissant à gauche la grande rivière de Moan-Elv, nous remontâmes la vallée à pied. Elle est tout-à-fait alpestre, et ressemble dans quelques endroits, à s’y méprendre, à celles de Suisse. La partie plate est couverte de prairies ; la route que nous suivions la sillonne à peine, et n’a point de traces visibles. Les montagnes des deux côtés sont abruptes, bien boisées, hautes de trois à quatre mille pieds. La rivière est large, limpide, tantôt tranquille et tantôt bruyante ; des habitations nombreuses sont semées dans toute la vallée ; leur désordre est riant et pittoresque. Si ces maisons se détachaient sur le fond du tableau comme les blanches cabanes de l’Oberland, Westfiord n’aurait rien à envier à Unterseen, rien, si ce n’est les glaciers. Elle est belle pourtant, cette montagne de Gousta qui nous apparut tout à coup au détour de la vallée : mes compagnons de voyage en furent ravis. Elle s’élevait brusquement, et sans étage, du lit même du torrent, à une hauteur de six mille pieds. La vue la suivait sans obstacle depuis sa base, revêtue de sapins, jusqu’au point où, dimi-