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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/139

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POÈTES ET MUSICIENS ALLEMANDS.

peuple des campagnes, ces jeunes hommes courageux et blonds, ces belles vierges fraîches et robustes ; quand il en rencontre une le soir, au bord du chemin, il l’arrête et la questionne sur sa famille et ses amours, et s’il la voit dévouée à son père, fidèle à celui qui est parti pour aller la gagner sur un champ de bataille, il lui serre la main en lui disant adieu, aussi fier pour l’Allemagne de cette ame honnête et bonne que de toute la gloire de Luther. Tout ce qui est allemand l’émeut et le touche ; il bénit la grandeur de sa capitale, et la pauvreté innocente des campagnes, le tilleul épais et sonore sous lequel il s’endort à midi, et la moindre fleur perdue dans le sillon. Pour lui l’Allemagne est partout. C’est la jeune fille qu’il rencontre, le jeune homme qu’il encourage, le pain dont il se nourrit, l’air qu’il respire. Le jour où l’Allemagne fit un appel à ses enfans, Uhland avait quitté le chevet de sa mère agonisante pour courir vers elle ; il vint la consoler, lava sa large plaie et les souillures de son corps, et but en blasphémant le sang de ses mamelles, comme la veille il en avait bu le lait pur. Dix ans après, la moribonde était revenue à la vie et chantait comme Marguerite, assise devant son rouet ; Uhland à ses pieds la regardait avec béatitude et chantait comme elle. S’il entend le pas des Français remuer la terre sur laquelle il a dormi tant de fois, il se lève en sursaut et chante en fondant des balles, comme le Gaspard de Weber, et bientôt à ses évocations puissantes, des universités et des églises, de la montagne et de la plaine, sort une bande échevelée qui s’accroît sur la route et vient entonner ses refrains en chœur. Quand la guerre est finie, quand la mort a déblayé la plaine et fait sa moisson d’hommes, quand le laboureur commence à creuser la terre pour semer sa moisson de blé, Uhland reparaît triste et le visage amaigri par les fatigues et les privations ; il s’assied sur le banc de pierre devant la maison, cause avec la jeune fille, et tous les rossignols du printemps n’éveillent pas dans l’arbre une musique plus charmante que celle dont la voix de l’enfant emplit alors son ame.

Il est des natures puissantes et fortes qui n’habitent que les plus hauts sommets, et tiennent, comme l’aigle, leurs regards incessamment fixés sur le soleil ; sortes de demi-dieux perdus dans des régions inaccessibles ; vastes cerveaux dont la tempête ébranle la