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ÉTUDES DE L’ANTIQUITÉ.

fécondité. L’illustre Lasus fut le maître de Pindare ; il inspira à son disciple le goût persévérant des travaux de la lyre, et le respect des dieux. Aisément le génie aime Dieu ; car dans ce culte il se retrouve et s’honore lui-même.

Naturellement religieux, Pindare se plaisait par-dessus tout aux traditions divines, aux souvenirs héroïques de la Grèce, et comme il y avait dans cet homme du prêtre et du hiérophante, il dédaigna le récit épique à la façon des Homérides, et s’empara de l’ode. Pour conquérir la palme lyrique, les temps étaient heureux, car les populations qui se pressaient aux spectacles et aux jeux d’Olympie, de Delphes, de Némée et de Corinthe, étaient singulièrement avides de chants, d’émotions et d’harmonie. Le cœur des Grecs battait violemment, les têtes s’exaltaient, l’enthousiasme circulait partout. Dans ces jeux qui n’avaient été jusqu’alors qu’un rendez-vous de gymnastique et de plaisir, on s’occupait des destinées de la patrie, on s’enflammait pour elle ; on parlait des Perses, on causait de l’Asie ; et puis la gloire du présent réveillait celle du passé. Marathon, Platée, Salamine, suscitaient dans les esprits la pensée et le désir de renouer les traditions communes de la patrie, de faire une Grèce commune avec tous les siècles, tous les peuples, toutes les races, tous les souvenirs qui la constituaient. Entre ses rivaux et ses contemporains, Pindare fut excellemment le chantre des traditions helléniques. Il laisse le présent aux historiens qui vont venir, et prévoyant qu’Hérodote parlera de Thémistocle, il se hâte de prodiguer au passé des adieux immortels.

Il vécut heureux et honoré : néanmoins quelques disgraces traversèrent sa vie. On dit que ses concitoyens le condamnèrent à une amende, pour avoir loué les Athéniens, tant il était encore difficile aux différens peuples de la Grèce d’être justes mutuellement. On dit aussi que les Athéniens payèrent l’amende, tant il dut être doux à la cité de Minerve d’être célébrée par un Thébain. Cinq fois, une femme, Corinne, lui arracha le prix de la victoire. Élien raconte que Pindare en appela de ce jugement à Corinne elle-même ; c’était croire à la fois à son propre génie et à la modestie de sa rivale. Quelques fragmens mutilés ne sauraient nous permettre de juger la femme qui cinq fois surpassa Pindare. Quel