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REVUE DES DEUX MONDES.

le cabinet du prince on voit entrer tour à tour et les ambassadeurs des rois, et les hommes voués par serment au renversement de tous les trônes. Ces mille lumières du palais éclairent deux mondes étonnés et confus de se rencontrer face à face. On devine qu’il y a là quelque profonde incompatibilité, et qu’il faudra bientôt que la fortune prononce.

L’imbroglio de ce grand carnaval ne pouvait durer ; chacun devait reprendre vite ses allures et son costume. Mais, ainsi qu’il arrive d’ordinaire quand on est encore plus séparé par ses instincts que par ses idées, beaucoup ignorèrent alors, plusieurs ignorent encore les motifs de cette scission si soudaine et si profonde.

Les hommes qui concoururent à l’établissement du 9 août, gens de la restauration et du gouvernement à l’anglaise, constitutionnels de 91 et patriotes de 92, se trouvèrent réunis à la chambre et représentés dans ce premier ministère, anonyme encore comme la révolution qu’il avait pour mission de conduire et de caractériser[1]. Mais on se tromperait étrangement si l’on croyait qu’il n’existait alors au fond des ames que les dissidences formulées dans ces débats préliminaires, et même durant tout le cours de cette première session. La charte amendée de M. Bérard ne rencontra dans aucun parti de résistance vive et systématique, parce que l’on sentait vaguement que les évènemens broderaient bientôt sur ce flexible canevas un commentaire plus important que lui-même. L’on pouvait différer sur l’application plus ou moins large du principe électif au régime municipal, sur le cens de l’électorat et celui de l’éligibilité, sur la quotité de la liste civile, sur la nécessité financière de maintenir ou la convenance d’abaisser la taxe des journaux, selon la proposition Bavoux, sans que ces dissidences qui, dans les premiers momens d’entraînement, ne se manifestèrent pas, d’ailleurs, d’une manière vive et tranchée, expliquassent les repoussemens chaque jour plus énergiques qui séparèrent bientôt les fondateurs du nouvel établissement. C’est dans une opposition latente, mais intime, entre les personnes, bien plus que dans un désaccord systématique sur des questions formulées, qu’il faut chercher l’origine des premières modifications ministérielles, et, sous ce rapport, on peut dire que la monarchie de juillet se trouva plus compromise par les antipathies des hommes que par la force même des évènemens.

  1. On sait que le cabinet formé le 11 août n’avait pas de président. La création de ce ministère qu’on a appelé de coalition, et qui n’était qu’un ministère d’attente, révèle la situation tout entière.