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rentes, se trompa sur la portée du bruyant mouvement dont sa révolution fut le signal en même temps que l’égide. Des institutions furent imposées, des tribunes s’élevèrent, des voix éloquentes et des journaux aussi hardis que les nôtres secouaient chaque matin cette apathie allemande, faisant apparaître aux yeux des princes le fantôme de l’unité germanique, dont les couleurs reparaissaient plus éclatantes, sorties de la poussière des siècles. M. de Rotteck, à Carlsruhe, M. Jordan, à Cassel, semblaient les organes d’intérêts imposans et d’énergiques volontés. En lisant l’Allemagne constitutionnelle, la Gazette universelle de Stuttgard, on respirait l’atmosphère parlementaire des idées françaises. Et pourtant ce mouvement, qui paraissait avoir de profondes racines dans les intelligences et dans les masses, s’arrêta court et succomba, à bien dire sans résistance, devant les résolutions de Francfort, ces ordonnances de juillet de l’Allemagne !

Pour trouver un concours efficace contre la coalition des puissances du nord et de l’est, il eût donc fallu se porter de prime-abord fort au-delà de cette opinion éclairée, mais trop facilement réduite au silence. Nos armées eussent dû demander aide et secours à ces ouvriers qui, en Saxe comme en Angleterre[1], se ruaient sur les machines, qui, à Hambourg comme à Gand, menaçaient la propriété du marteau dévastateur ; à ces troupes de paysans fuyant, la torche à la main, devant les troupes hessoises. Ces malheureuses populations rurales que les déserts du Nouveau-Monde déciment chaque année, ces populations urbaines unissant aux vices de la civilisation l’ignorance de la barbarie, offraient les plus terribles élémens qui aient été réunis dans nos temps modernes pour une immense jacquerie agricole et industrielle. C’est à ce dernier degré de désolation et de honte que l’Europe fût descendue, si la Providence ne l’avait visiblement protégée à cette heure décisive pour ses destinées.

Dira-t-on que la France eût trouvé autre part une alliance moins dangereuse ? Oui, sans doute, noble Pologne, tu fusses morte avec elle, dévorant les masses que trois puissances auraient jetées sur toi ; mais, dans cette affreuse tempête, l’étendard qui flotta sur tes bataillons, et qui consacre, pour le ciel comme pour la terre, la sainteté de ton patriotique martyre, eût été vite abaissé par les hommes qui ont enfermé la

  1. On sait qu’à Leipsig (2 septembre 1830) les insurgés attaquèrent l’établissement du célèbre libraire Brockhaus, parce qu’il se servait d’une machine à vapeur pour ses presses, et qu’il ne dut le salut de son établissement qu’à la promesse de n’en plus faire usage.