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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/392

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REVUE DES DEUX MONDES.

pour un moment, là pour toujours ! Un assassin n’est pas toujours un fou, je le sais ; mais qui voit l’un le même jour que l’autre reporte involontairement sur le premier un peu de la pitié que lui a inspirée le second.

Nous frappâmes à une porte informe, sans signe extérieur qui annonçât la destination de l’établissement. La ville n’a pas voulu étaler ses plaies à l’étranger qui passe, orgueilleux de cette raison qui dépend d’une fièvre ou d’une perte d’argent. Une sœur âgée, et en lunettes, vint nous ouvrir. Elle nous fit entrer dans une salle basse, garnie de rayons, sur lesquels étaient rangés des fioles et des bocaux, avec des étiquettes de pharmacie. Cette salle est en effet la pharmacie des pauvres. On leur y distribue des médicamens gratuits, et c’est la sœur chargée de cette distribution qui nous avait reçus. Ainsi la même maison est à la fois la maison des pauvres malades de corps et des pauvres malades d’esprit. On leur fait chez eux l’aumône des médicamens, tant qu’ils ont leur raison ; quand ils l’ont perdue, et, avec elle, la pudeur de la pauvreté honnête, on leur fait, dans l’établissement, l’aumône publique du pain, du lit et du traitement.

Quoique notre visite à l’hospice eût à la fois, par la qualité de l’une des personnes qui me faisaient l’honneur de m’y conduire, un but d’inspection officielle et un but de curiosité, je vis que nous avions jeté le trouble parmi ces bonnes religieuses, habituées aux pauvres et aux folles, et qui ne savent que par le médecin en chef de l’hospice comment vivent et s’habillent ceux qui ne sont ni pauvres, ni aliénés. Elles rougissaient, elles chuchotaient à voix basse ; elles semblaient craindre l’effet de notre visite sur leurs pauvres pupilles, et avoir honte d’avance pour les misères auxquelles nous allions toucher. Nous les rassurâmes par notre gravité, et par ce respect sympathique qui ôte à la curiosité ce qu’elle a d’injurieux et de triomphant. La plus jeune d’entre elles fut chargée de nous faire voir l’établissement. Elle se munit d’un trousseau de clés, et nous franchîmes la première porte intérieure.

Aucune de ces respectables filles ne lira ce que j’écris ; la gloire même ne pénétrerait pas au fond de cette solitude où des anges terrestres se chargent de ceux dont les hommes ne veulent plus et dont Dieu ne veut pas encore. Si je me sers de quelque