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INDUSTRIE ET COMMERCE DE LA BRETAGNE.

cantiques populaires au son du bigniou qui marchait à leur tête. Ce fut comme une sainte croisade de travailleurs auxquels l’exaltation donnait des forces, une adresse et une patience que l’on attendrait vainement de l’habileté moderne. Alors s’élevèrent, au bruit des hymnes et des prières répétées en commun, ces églises miraculeuses qui dominent les villages du Finistère ; alors le granit, pétri comme de l’argile, se déroula en arabesques flamboyantes ; le chêne, découpé à l’emporte-pièce, tapissa les chœurs mystérieux ; alors, sous chaque assise, sous chaque poutre, contre chaque angle, le long de chaque corniche, on vit naître ces myriades de saints, de dragons, de démons et de grotesques ; et dans ces vastes compositions, mélanges de pensées terribles ou ridicules, saintes ou obscènes, tout fut admirablement exécuté, parce que chaque ouvrier trouva nécessairement à rendre l’expression de son individualité. Chacun eut son ouvrage de goût à accomplir ; chacun put, après l’achèvement, voir à découvert sa part de travail, s’admirer et se complaire dans son œuvre. Puis, l’honneur de l’ouvrage entier retombait sur tous ; car, à cette époque, l’architecte n’était pas, comme maintenant, un homme isolé, vivant dans une autre sphère, auquel revenaient toute la gloire et tout le profit : l’architecte n’était qu’un maître maçon, le premier entre les autres, mangeant à leur table, heurtant son verre aux verres de ses ouvriers, et prenant leurs conseils. D’ailleurs, une cause plus puissante que toutes celles que nous indiquons surexcitait les facultés de l’ouvrier breton : il cherchait une réhabilitation. En élevant des églises, il faisait à la fois une œuvre glorieuse et méritoire, il acquérait une importance qu’il n’avait jamais eue auparavant. Son travail le purifiait. Il devenait le logeur du bon Dieu, et, à ce titre, il appelait sur lui quelque chose du respect et de l’admiration qu’inspirait son ouvrage. Aussi lui permettait-on de dresser un autel dans une des plus belles églises de Bretagne (le Folgoat), et d’y graver sur la pierre, comme un gentilhomme, son écusson roturier, composé de la truelle, de la règle et de l’équerre. Certes, le métier dut alors lui paraître beau et attrayant. L’ouvrier avait une mission. La foi vint illuminer son ignorance. Il se sentit prêtre à sa manière, et toutes ses aspirations pieuses, toutes ses prières, se traduisirent sur le Kersauton en caractères indélébiles. Cette vigueur de volonté dura tant que la crise populaire qui ébranlait le pays eut son cours, et les grands travaux entrepris avec l’or de la reine Anne se multiplièrent. Mais lorsque Louis xii eut perdu sa Brette moult regrettée, et que la réaction nationale se fut ralentie, les grands ouvrages cessèrent tout à coup. Ren-