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communes limitrophes ; de là ces tribus uniquement agricoles qu’un simple ruisseau sépare de tribus uniquement industrielles ; de là, ces quelques races actives, commerçantes, émancipées, que l’on trouve au milieu de races stationnaires et superstitieuses.

Parmi les populations qui forment ainsi un contraste frappant avec les habitudes casanières de la plupart des Bretons, on peut citer principalement les Roscovites, quelques peuples de l’Arrez, des pays de Vannes, et les Bretons de Bréhat, au pays de Tréguier.

Roscoff est une petite colonie maritime placée sur l’Océan, et qui, lorsqu’on vient de la mer, paraît accrochée au bas du promontoire, comme une coquille marine. D’après sa position, on devrait s’attendre à voir tous les habitans de la commune consacrés au service de mer ; cependant il n’en est rien. Roscoff ne fournit pas plus de marins que les autres points du Finistère, et presque toute sa population s’occupe de la culture des terres, qui sont dans ces parages d’une incroyable fertilité. Les légumes les plus délicats y poussent en plein champ, et les Roscovites en font un commerce immense dans toute la Bretagne. Quelque route que vous parcouriez, vous les rencontrez assis sur le brancard de leurs charrettes légères, rapidement emportés par un petit cheval du pays, et chantant joyeusement une ballade bretonne. Leur costume se compose d’une toile blanche et fine sur laquelle se dessine élégamment une large ceinture de serge rouge. Mais le plus souvent ils se débarrassent de leur habit pour la route, et alors on aperçoit le grand gilet vert à manches bleu-de-ciel qui leur presse étroitement la taille. Leurs cheveux noirs tombent sur leur cou avec une négligence pittoresque, et leur chemise sans collet est fermée par une épinglette de cuivre qu’ornent des grains de verre colorié. C’est avec ce vêtement leste et gracieux qu’ils parcourent les routes de Bretagne sous le soleil, la neige et la pluie. Aucun temps, aucun chemin, aucune fatigue ne les arrête. Plusieurs vont vendre leurs produits à cinquante lieues, et je me rappelle en avoir fréquemment rencontré dans les rues de Rennes, offrant leurs asperges et leurs choux-fleurs avec la même aisance qu’aux marchés de Brest et de Morlaix. En 1830, l’un d’eux s’imagina d’aller à Paris avec sa petite charrette, son unique cheval et ses plus beaux légumes. Il partit, effectua heureusement son voyage de cent quatre-vingts lieues, et au bout de trois semaines il était de retour, et il racontait à ses voisins émerveillés qu’il avait vu la maison du roi et le roi lui-même se promenant avec un parapluie et donnant des poignées de main aux passans. C’était, assurait-il, un gros homme qui n’avait pas l’air fier du tout et