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INDUSTRIE ET COMMERCE DE LA BRETAGNE.

qui ressemblait au sonneur de cloches de Roscoff. Ce Cook bas-breton a fait depuis deux nouveaux voyages à Paris, mais il ne lui a plus été permis de voir les Tuileries, parce qu’on n’y laissait plus entrer en veste, et monsieur le roi ne donnait plus de poignées de main dans les rues.

Du reste, ce n’est pas seulement par sa hardiesse entreprenante que le Roscovite se distingue ; c’est encore plus par sa souplesse caressante et son tact commercial. Son caractère n’a rien de la raideur que l’on reproche avec raison à ses compatriotes. Tenace, mais sans rudesse, il y a en lui une sorte d’élasticité qui le garantit dans tous les chocs. Il rebondit contre tous les obstacles, sans s’y blesser, et les surmonte plus légèrement qu’il ne les brise. Aussi ne se décourage-t-il point facilement. Gai et entreprenant, lorsqu’il voit une porte se fermer devant lui, il se contente de dire : — Allons plus loin. — Et il continue sa route en chantant. Il faut ajouter que nul ne sait comme lui apprécier un acheteur et juger son côté vulnérable. Nul ne sait mieux se montrer insolent ou poli, brusque ou caressant, selon l’occasion. Soyez timide, et vous le trouverez arrogant, effronté ; il vous imposera sa marchandise, il vous embarrassera, il vous forcera à acheter, par honte et malgré vous. Mais s’il n’espère point vous déconcerter, ce sera à force de prévenances et de bienveillance attentive qu’il vous obligera à accepter ses conditions. Il vous sourira, il vous appellera son cher pauvre chrétien : il vous caressera successivement avec les plus douces expressions du vocabulaire breton ; et, pendant que vous vous débattrez sous ce réseau de câlineries, la marchandise aura passé dans vos mains, et le marché sera conclu avant que vous croyiez même avoir proposé un prix.

Grâce à cette adresse, le Roscovite réussit généralement dans son commerce, et il pourrait prétendre à une certaine fortune, s’il était aussi habile à conserver qu’à acquérir. Mais, comme il arrive presque toujours, il a les défauts de ses qualités. S’il est actif, entreprenant, en revanche il est dissipateur et sensuel. S’il s’efforce de gagner beaucoup, c’est pour dépenser davantage. Il y a dans ce caractère quelque chose de l’épicurisme grossier du matelot, et aussi quelque chose de sa philosophie pratique. J’adressai un jour des reproches à un Roscovite de ma connaissance sur son peu d’économie. Je l’engageai à se préparer une aisance qui pût rendre sa vieillesse douce. C’était dans un cabaret de village, où j’avais rencontré le joyeux viveur, que je lui faisais mon cours de morale. Il m’écouta avec calme, et lorsque j’eus fini : — « Amasser pour quand je serai vieux, monsieur ! dit-il en secouant la tête : ce serait comme si je gardais des noisettes