Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/617

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
611
HISTOIRE LITTÉRAIRE.

indépendante. Depuis le viiie siècle, elle luttait contre les Berbers et l’islamisme : elle a continué cette lutte de siècle en siècle. Jusqu’au xvie on la retrouve uniformément occupée de cet éternel combat. Est-il étonnant qu’elle n’ait ressenti que le contre-coup des révolutions qui se passaient dans l’intelligence du reste de l’Europe ? L’Espagne est un chevalier toujours en guerre ; c’est une forteresse assiégée, ceux qui s’y défendent n’ont qu’une pensée. Seulement lorsqu’elle a quelque répit, lorsqu’elle est en trêve ou victorieuse, elle se chante elle-même. Au xe siècle, commencent avec le Cid ses chants de victoire ; plus tard c’est elle encore, ce sont ses vieilles traditions nationales, c’est la pompe de ses tournois, c’est sa vie active, chevaleresque et galante, qui forment la matière de son romance, historique ou moresque, burlesque ou pastoral ; c’est elle, toujours elle, ce sont ses exploits dans la mer des Indes et en Amérique, deux mondes découverts par elle, que chantent les Lusiades et l’Araucana ; et jusqu’à la fin de sa virilité ou même dans sa décadence, si elle retrouve de l’enthousiasme et de la couleur, c’est encore pour se chanter elle-même dans les Histoires de Mariana et d’Antonio de Solis.

Ainsi l’Espagne a eu, selon nous, deux caractères principaux qui tenaient tous deux également à sa situation. Elle a été, avant tout et presque exclusivement, catholique et nationale. Elle n’a point concouru activement aux travaux intellectuels communs au reste de l’Europe, et elle n’a fait qu’en goûter ou en repousser les résultats. Au moyen-âge naît la Scolastique : que fait l’Espagne ? Elle en prend les solutions les plus catholiques, et elle s’y tient. Vient ensuite la Renaissance : l’Espagne laisse travailler les grammairiens, les commentateurs ; tout ce labeur de restauration de l’antiquité l’intéresse fort peu ; elle a sa langue déjà toute formée, et elle s’en sert pour se chanter elle-même dans ses romances. Mais quand la Renaissance a porté tous ses fruits en France et en Italie, la paresseuse Espagne, qui n’avait rien produit au xive et au xve siècles, veut bien se laisser piquer d’émulation par ses rivales ; elle ressent enfin l’influence de cette Renaissance pour la préparation de laquelle elle n’a rien fait ; elle s’y livre, elle s’y abandonne, et alors arrive le siècle d’or de sa littérature. Mais déjà voici la Réforme qui gronde dans toute l’Europe : l’Espagne essaie de la vaincre avec Charles-Quint et Philippe ii, et, n’ayant pu y réussir, elle se ferme à toutes les idées nouvelles, redouble la garde de son inquisition, se plaît aux auto-da-fe, devient plus servile et plus dévote à mesure que les autres nations s’émancipent, et finit par être, au sein des temps modernes, le seul reste survivant de l’Europe du moyen-