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âge. C’est ainsi qu’elle tomba en décadence, toujours fidèle au principe de rigide catholicité qui l’avait rendue jadis victorieuse de ses ennemis les Mores. Elle avait dû sa grandeur et sa victoire à ce qu’elle ne s’était pas ou peu mêlée aux révolutions de l’intelligence qui s’étaient succédé en Europe ; elle dut à la même cause son annihilation.

Si ce point de vue historique est vrai, il peut jeter du jour sur le caractère de la littérature espagnole. Que peut être la littérature d’un peuple qui n’a pris presque aucune part à la Scolastique, à la Renaissance, à la Réforme, à la Philosophie ? Ce caractère, comparé à ceux que présentent les autres littératures, doit être évidemment tout-à-fait particulier et original. Comme ce peuple a peu travaillé sur les sources antiques du monde moderne, je veux dire tous les précieux débris de l’antiquité conservés au moyen-âge, il est évident que sa littérature doit avoir un certain air de spontanéité, de naturel et de modernité, que n’ont pas au même degré les littératures des autres peuples, même celles qui ont le plus ce caractère, comme la littérature anglaise, par exemple. Aussi est-ce là ce que tout le monde accorde volontiers à la littérature espagnole. On reconnaît qu’elle est soi plus qu’aucune autre ; elle est, avant tout, moderne, spontanée, et espagnole ; elle a, si je puis ainsi parler, un goût de terroir plus prononcé que toute autre. Mais ce qui doit caractériser encore une telle littérature, c’est le sentiment de la réalité. En effet, cet Espagnol qui combat et chante ses combats, qui se condamne à l’ignorance pour ne pas nuire à sa cause nationale, qui est toujours occupé de son pays et des grandes choses qu’il a faites ; cet Espagnol ne peut mettre dans ce qu’il écrit plus que ne renferme l’objet qu’il considère. Rien d’infini ne peut sortir du spectacle des choses finies, quelque grandes que soient ces choses, et quelle que soit l’imagination de celui qui les contemple. La nation espagnole, en se retraçant à elle-même les périodes accomplies de son existence, n’a pu se donner que des tableaux empreints de réalité, de réalité noble et aussi élevée qu’on voudra le supposer, mais dénués d’idéal dans le grand sens du mot, et tout-à-fait dépourvus d’infini. Aussi est-il bien remarquable que c’est à ce peuple que l’on doit le genre de littérature le plus empreint de réalité, je veux dire le roman. L’Italie, la France, l’Allemagne, l’Angleterre, n’ont point inventé le roman. C’est l’Espagne qui la première a créé ce genre ; et elle a créé également les deux grandes divisions de ce genre, le roman de mœurs et de caractères, et le roman historique. C’est là la principale gloire de la littérature espagnole ; et on pourrait presque dire qu’elle n’a pas produit autre chose. Que sont en effet ses poèmes épiques ? Bien plutôt de