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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/619

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HISTOIRE LITTÉRAIRE.

chroniques romanesques que des poèmes, quoique l’imitation des anciens ait ici influé sur le goût espagnol. Après le roman, qu’est-ce qui domine dans cette littérature ? La comédie ; toujours la réalité, et rien que la réalité. Mais de poésie lyrique, il n’y en a pas trace en Espagne ; rien qui rappelle la poésie de Dante, de Shakspeare ou de Milton ; rien qui sente la théologie ; rien qui, comme le to be or not to be de Shakspeare, ou comme le rêve d’une ombre de Pindare, nous mette tout tremblans devant le terrible problème de la destinée humaine. Aussi je conçois bien le sentiment de ceux qui, n’appelant poésie que ce qui a le caractère de l’infini, ne trouvent rien qui les satisfasse dans la littérature espagnole, et qui, frappés uniquement, dans cette littérature, de l’absence de tout vrai lyrisme, la déclarent de bonne foi puérile et faite pour un peuple enfant. Ceux, au contraire, qui se plaisent au fini et au réel, qui aiment à considérer le monde dans ses accidens, et dont l’esprit s’occupe peu de la chaîne infinie qui relie les phénomènes, ne sauraient trouver ailleurs une peinture plus vivante, plus animée, plus vraie de la réalité. Le tort des uns est de demander à la poésie espagnole ce qu’elle ne peut pas leur donner, et de ne pas savoir goûter ce qu’elle a produit avec tant d’abondance et souvent avec tant de perfection. Mais, à leur tour, les admirateurs de la littérature de l’Espagne ont souvent un autre défaut : c’est de se persuader que l’Espagne a plus donné au monde qu’elle n’a fait réellement, et de lui attribuer une littérature infiniment plus complète et plus riche que celle qu’elle a pu avoir. On ne s’étonnera pas si nous disons que ce tort est quelquefois celui de M. Viardot. Assurément il a eu raison de recueillir avec soin tous les titres littéraires de l’Espagne ; mais le caractère original de ce pays ne perd-il pas à cette exhibition trop empressée et trop copieuse ? Que dirait-on d’un homme qui, possédant un diamant de prix avec d’autres bien inférieurs, dont quelques-uns même de mauvais aloi, se plairait à exposer sans distinction, aux yeux de ses amis, jusqu’aux moindres brimborions de son trésor, au lieu de faire valoir, en le séparant soigneusement du reste, le diamant superbe qui fait vraiment toute sa richesse ? Ne vaudrait-il pas mieux, pour une littérature comme celle de l’Espagne, signaler sa noble misère, que de lui prêter complaisamment un peu de tout, et de déguiser son vrai caractère et son originalité sous une profusion artificielle et menteuse ?

L’idée que l’on doit se faire de la littérature espagnole doit, pour être exacte, se rapporter à la destinée de cette nation. L’Espagne a eu un sort à part, un rôle propre et spécial ; qu’en est-il résulté ? Que n’ayant pris, comme nous l’avons dit, aucune part importante aux tra-