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vaux intellectuels du reste de l’Europe, elle a été, comparativement aux autres peuples, une nation ignorante même dans les périodes où elle a jeté le plus d’éclat, une nation sans philosophie, toute à l’activité et, comme disent les Allemands, toute objective, éternellement superstitieuse et non pas religieuse. La paresse même et l’engourdissement que l’on a souvent reprochés à l’Espagnol, s’accordent avec cette activité incessante de la nation. Comme citoyen, l’Espagnol était toujours occupé de son œuvre unique, chasser ses ennemis, conquérir tout son sol ; et quand il eut conquis la Péninsule, il passa sans interruption à la conquête de l’Amérique. Mais d’érudition et de philosophie, de méditations profondes en religion ou en politique civilisatrice, l’Espagne ne s’en soucia jamais. Les saints même qu’elle a produits, les Dominique et les Ignace, ont le caractère conquérant ; on retrouve chez eux les compatriotes de Charles-Quint et de Philippe ii. L’activité, une activité continuelle, et toujours dirigée vers le même but, a été le partage de ce peuple ; la méditation philosophique et contemplative lui est presque étrangère ; la vie active, voilà son domaine.

Aussi qu’est-ce que l’art espagnol ? La représentation vivante de la réalité ; c’est un art toujours dirigé vers le fini et le visible. L’Espagne, qui n’a eu au moyen-âge qu’un seul rôle, ne pouvait arriver, comme les autres nations, ses sœurs, à une grande multiplicité de produits. C’est un arbre qui n’a donné qu’un seul fruit. Il faut accepter cette indigence, puisque cette indigence est la cause de la richesse même de l’Espagne, sous le rapport unique où elle a produit.

De quoi se compose réellement la littérature espagnole ? D’abord le poème du Cid, puis les romanceros, ensuite Alonzo de Ercilla, Cervantès, Lope de Véga, Caldéron, et dans l’histoire, Mariana et Solis.

Quelles immenses lacunes dans cette littérature, et en même temps quelle concentration ! Comme nous l’avons dit, tout s’y rapporte au roman, ou plutôt tout y est le roman sous des formes diverses. Le Portugal, cette portion de l’Espagne, n’a eu réellement qu’un auteur, Camoens ; l’Espagne, c’est Cervantès, à des degrés divers.

La philosophie d’une histoire littéraire de l’Espagne consisterait donc à réunir auprès de ces coriphées tout le reste du troupeau, à former le faisceau autour d’eux, à montrer leur ressemblance entre eux, et leur ressemblance avec ceux qui en approchent à quelque degré. Jamais famille, en effet, ne fut plus unie et d’un même visage que la littérature espagnole.

C’est cette ressemblance, cette unité qui devrait dominer dans un tableau philosophique de cette littérature. Ne tâchez pas de me dé-