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Suivant cette école, le meilleur poète eût été celui qui aurait été doué au plus haut degré de la faculté visuelle. Au rebours, d’autres se sont montrés si riches en développemens du cœur, si habiles à peindre les mouvemens de l’ame, si occupés de l’intérieur de l’homme, qu’on a fait un mot pour exprimer leur tendance : on a appelé cette manière poésie intime. Cette distinction, je le répète, est excellente si on ne veut par là que différencier entre eux les artistes ; mais elle est fausse, à mon avis, si l’on entend réellement par là distinguer deux procédés divers, deux poésies différentes. Quand un poète ou un peintre, Byron ou Salvator, veut exprimer la mélancolie et l’anarchie de son ame, est-ce que ce n’est pas avec des images et des couleurs qu’il le fait ? Il n’y a donc pas, sous ce rapport, deux poésies à distinguer ; il n’y a pas même deux procédés divers de poésie. Seulement il y a des artistes qui ont en eux une vie de l’ame, et d’autres qui ont surtout des yeux et de l’imagination. Mais une distinction plus certaine à faire, c’est celle de la poésie du fini et de la poésie de l’infini. La poésie est l’expression de la vie : or il y a deux sortes de vie, la vie du moment et du phénomène, et la vie éternelle. Dante, Shakspeare, Milton, sont des poètes qui ont considéré souvent avec attention, avec recueillement, avec effroi, avec désir, avec tremblement, avec quiétude, le problème de notre destinée :


Que suis-je ? où suis-je ? où vais-je ? et d’où suis-je venu ?


Lope de Véga et Caldéron ne se sont occupés que des intrigues de Madrid et des accidens de la vie réelle.

M. Viardot lui-même, malgré son idolâtrie pour l’Espagne, n’est-il pas obligé de dire qu’il n’y a dans tout le théâtre espagnol « aucune trace de philosophie, aucun désir de perfectionnement, aucune pensée de civilisation ; » que « le but unique de tous les poètes dramatiques espagnols, sans distinction, a été d’amuser le public et de s’en faire applaudir ; » qu’ils ont tous cherché « à tisser des canevas d’intrigues, à mettre en relief des aventures, » et que « le théâtre espagnol ressemble même moins à une galerie de portraits fidèlement tracés qu’à une espèce de lanterne magique où passent rapidement mille figures bizarres. »

La dernière partie des Études, celle qui est consacrée aux beaux arts, vient encore, à ce qu’il nous semble, confirmer le caractère que nous attribuons en général à l’art espagnol. L’Espagne n’a pas eu de statuaire (et que serait-ce en effet que la statuaire sans l’idéalité ? un art beaucoup trop borné et trop restreint dans ses moyens pour plaire), mais elle a eu une admirable école de peinture. Or, quel est le type de