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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/624

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REVUE DES DEUX MONDES.

les mendians (sujets où Murillo n’excellait pas moins que dans ceux de haut style) seront peints dans le genre froid ; les extases des saints, dans le genre chaud ; les annonciations et les assomptions, dans le genre vaporeux. » M. Viardot nous fait connaître, dans de fort belles pages, plusieurs des tableaux où Murillo a peint des extases de saints et des scènes réunissant à la fois le ciel et la terre. Ainsi Murillo serait un peintre mystique par excellence. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que cette invention même d’un procédé particulier pour peindre le ciel, pour rendre matériellement le monde surnaturel, est encore une preuve de l’attrait invincible du génie espagnol pour la réalité. Les arts, chez les peuples les plus philosophes, les plus spiritualistes, les plus idéalistes, se sont contentés de symboles pour représenter le monde invisible. La glyptique grecque mettra sur la tête orientale de Platon un papillon, et cet emblème suffira à représenter la vie, la résurrection, la métempsycose éternelle du monde. Les grands peintres italiens, il est vrai, ont quelquefois entrepris de peindre le ciel : mais, sauf l’idéalité des figures, ils l’ont représenté comme ils eussent représenté la terre, en sorte que leurs images sont encore évidemment symboliques. Mais vouloir, comme Murillo, avoir une couleur réelle pour le ciel, mettre dans un même tableau en contraste la terre peinte dans le style froid et le ciel dans le style vaporeux, tandis que l’extase est peinte d’après nature dans un troisième style, n’est-ce pas avoir au plus haut degré la passion du vrai et du réel ? C’est évidemment abandonner complètement le symbole religieux ; c’est vouloir être réel en tout ; c’est ne concevoir l’art que sous un aspect, la réalité.

Ainsi, la peinture en Espagne, sans en excepter Murillo lui-même, semble reproduire encore le caractère que nous a offert la littérature ; et ce caractère est d’accord avec la conclusion que l’on tirerait naturellement de l’histoire politique de ce pays.

Nous pardonnera-t-on d’avoir remplacé l’analyse de l’ouvrage de M. Viardot par une vue systématique, qui paraîtra sans doute exagérée comme toutes les idées de ce genre, lorsqu’elles ne sont pas accompagnées des développemens nécessaires pour leur donner de la précision et de la justesse ? Nous dirons pour notre excuse qu’il nous eût été bien difficile de rendre compte d’un livre si riche en documens et en citations ; et nous ajouterons que, si nous nous sommes permis d’énoncer une opinion sur l’art espagnol, la faute en doit être imputée à M. Viardot, qui a trop négligé, suivant nous, la philosophie de son livre. M. Viardot se plaît à l’exposition plus qu’à l’idée philosophique,