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à l’humanité. Ou bien c’est saint Boniface, le grand apôtre des nations germaniques, qui, après avoir passé quarante ans, je crois, à prêcher les sauvages des bords du Weser, comme les missionnaires à d’autres époques prêchaient les sauvages du Canada, sur ses vieux jours évêque honoré, ne peut se priver long-temps de sa vie de missionnaire, de sa perspective de martyre, et retourne à ses forêts, à ses sauvages, emportant avec lui sa Bible et un suaire : le suaire ne tarda pas à lui servir, et il trouva le martyre qu’il cherchait. Ces noms me reviennent en ce moment à la mémoire, mais il y en a un grand nombre d’autres qui mériteront autant que ceux-ci d’attirer votre attention.

C’est ainsi que nous arriverons à Charlemagne ; là un point d’arrêt ; là nous ferons une pause pour contempler l’homme peut-être le plus complet qui ait existé. Charlemagne est Germain, profondément Germain ; sa famille est celle qui a restauré le germanisme dans la Gaule mérovingienne. Charlemagne est fidèle à la langue, à la poésie, à l’esprit de ses pères. Il écrit une grammaire francique il fait rassembler les chants nationaux des Germains, et en même temps ce Charlemagne si fidèle à sa race, qui en a les qualités natives, la cordialité, la simplicité, les affections de famille, comprend ce que personne n’avait compris depuis long-temps, du moins au même degré que lui, il comprend que la civilisation est dans le monde romain. Ce monde qui avait presque complètement disparu, il le regarde, il le réorganise. Le Germain Charlemagne se fait ainsi le soldat de la civilisation romaine en se faisant empereur romain. Charlemagne débute, dans son entreprise de civilisation, par deux choses : il fait apprendre à lire à tout le monde, même aux pauvres (comme je le prouverai) ; c’est ce que nous cherchons à faire maintenant avec les écoles d’enseignement primaire. Que fait-il encore ? Il fait copier, et par là multiplier à l’infini, les manuscrits existans ; c’est, avec la différence des moyens, l’action de la presse. Son génie l’avertit donc des deux plus grands leviers de civilisation, l’instruction primaire et ce qui correspond, dans son siècle, à la diffusion des connaissances par la presse. Charlemagne fait tout cela, et en même temps il est au courant de toutes les connaissances de son époque. Il est législateur, voyez les Capitulaires ; il est théologien, voyez les Livres carolins ; il est, avec Alcuin, le seul théologien de son règne ; et cependant il est tolérant, il n’est pas persécu-