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REVUE. — CHRONIQUE.

à réfuter, à sa manière, et M. Guizot et M. Thiers, son collègue et son nouvel ami.

En vérité, si M. Guizot n’était pas un homme trop grave et M. Sauzet un homme trop sincère pour qu’on les soupçonne de jouer un pareil tour, on serait tenté de croire qu’ils se sont entendus pour faire pièce à M. Thiers. Depuis sa nomination à la présidence du conseil, M. Thiers disait chaque jour à la chambre et dans les réunions politiques, que les circonstances qui avaient renversé le dernier ministère étaient indépendantes de lui, qu’il les avait subies avec douleur ; il répétait avec affectation que M. Guizot rentrerait au ministère quand il voudrait, que rien n’était changé au système, que c’était toujours le système du 13 mars et du 11 octobre, et que quant à lui, il ne ferait jamais partie d’un cabinet qui ne serait pas basé sur ce système. Le parti doctrinaire qui s’est établi sous ce drapeau que M. Thiers avait arboré sur le nouveau ministère, avait beau montrer M. Passy, M. Sauzet et M. Pelet de la Lozère, il avait beau s’étonner de l’attitude complaisante du centre gauche et de la gauche modérée, et se demander si M. Thiers n’avait pas signé quelque traité secret avec ce côté de la chambre ; M. Thiers répondait toujours par les dates du 13 mars et du 11 octobre, et se riait tout bas de l’embarras de ses amis les doctrinaires, forcés bon gré mal gré de voter pour lui.

Ce fut alors que M. Guizot jugea qu’il était temps de venir secouer à la chambre les plis de son manteau de philosophe, et d’en faire tomber une paix réelle ou une guerre comme la font les doctrinaires, c’est-à-dire une impitoyable guerre. On a dit que le discours de M. Guizot a été une grande faute. Il nous semble qu’on l’a jugé sous un faux point de vue. L’habileté de M. Thiers n’est pas l’habileté de M. Guizot ; celle de M. Thiers consiste à se dérober ; l’habileté de M. Guizot consiste, au contraire, à paraître. M. Guizot a le fanatisme de ses opinions ; il est de son parti, et, en cela, il tient par plus de liens qu’on ne pense à la grande majorité qui soutenait le dernier ministère, et qui a aussi des opinions très arrêtées sur ce qu’on nomme la politique du 13 mars et du 11 octobre, deux systèmes qui, soit dit en passant, se ressemblent fort peu. Voyant donc que M. Thiers s’abritait sous le système du 11 octobre, M. Guizot n’hésita pas à le relancer au gîte par ce discours que vous savez. En substance, ce discours peut se traduire ainsi : Vous êtes un nouveau ministère du 11 octobre, dites-vous ; vous jurez que le système sera maintenu ; je vais donc vous dire comment j’entends ce système, et comment vous l’avez entendu pendant quatre ans, vous qui l’avez soutenu avec moi comme ministre et membre d’un conseil où vos discours et vos votes ont été toujours plus acerbes que les miens, et jamais moins en aucun cas. — C’est alors que M. Guizot a étalé tout ce système, en ne dissimulant ni sa violence, ni sa rudesse. Sans doute en faisant ce tableau, M. Guizot se faisait tort à lui-même aux yeux d’une partie de la chambre ; mais, outre qu’il flattait les passions du véritable centre, que nous avons vu si ardent dans la question des lois de septembre et dans la discussion de toutes les mesures d’intimidation prises depuis quelques années, il jetait dans