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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/122

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REVUE DES DEUX MONDES.

un inexprimable embarras ceux des collègues de M. Thiers qui appartiennent au parti parlementaire, comme on dit aujourd’hui. Quant à M. Thiers, il n’avait qu’une réponse à faire, il n’avait qu’à dire que ce n’était pas ainsi qu’il avait entendu le système du 11 octobre ; que, pour sa part, il avait toujours été le partisan d’une politique conciliatrice et modérée, comme il la voulait encore. Mais alors M. Persil se fût levé, et lui eût demandé s’il n’avait pas été, dans le conseil, l’adversaire de M. Guizot et de M. de Broglie, qui se refusaient à toucher à l’institution du jury. M. Guizot lui eût demandé s’il n’avait pas été le plus ardent promoteur de l’état de siége, l’ennemi le plus violent de toutes les oppositions modérées ou immodérées, l’homme des visites domiciliaires, des arrestations préventives, le héros du système dont il se dit la victime aujourd’hui. Nous disons que les anciens collègues de M. Thiers auraient pu lui répondre ainsi ; mais ils ne l’eussent pas fait, et M. Thiers n’eût pas non plus engagé cette discussion, qui semblait cependant résulter du discours de M. Guizot. Le véritable résultat que se promettait M. Guizot a été atteint. Après la séance, les collègues de M. Thiers, réunis au conseil, lui déclarèrent qu’ils donneraient leur démission, s’il ne répondait avec fermeté à M. Guizot. M. Thiers déclina cette mission, et M. Sauzet fut chargé de porter la parole. On sait le discours de M. Sauzet, qui est un démenti perpétuel aux deux discours de M. Thiers, et qui fixe une date nouvelle au cabinet nouveau. Or, c’est tout ce que demandait M. Guizot, qui voulait établir que M. Thiers du 11 octobre n’a rien de commun avec M. Thiers du 22 février, et qui prétendait éclaircir la question, tandis que M. Thiers s’efforçait de l’embrouiller. Elle est bien nette aujourd’hui. La majorité sait à qui elle a affaire, et la voie qu’elle doit suivre, selon qu’elle voudra rester au 11 octobre, ou passer au 22 février. Voilà ce qui a été fait par le discours de M. Guizot, qui le complétait en répondant à M. de Talleyrand, chargé par M. Thiers de lui offrir amicalement l’ambassade de Naples : « Mon prince, je suis une plante indigène ; je ne fleuris qu’à Paris, et j’attends ma saison. »

Nous ne savons si la saison de M. Guizot viendra ; à dire vrai, nous ne le désirons pas, car nous n’espérons pas qu’il adoucisse au pouvoir cette politique violente et hautaine, qu’il nous a tracée dans son dernier discours, et dont, ministre, il avait donné déjà tant de preuves ; mais il nous semble que la saison de M. Thiers commence à se passer. M. Thiers qui se croyait la force et le bouclier du dernier ministère, et qui avait la belle place en effet, ne sera bientôt que l’embarras de celui-ci. Dans le dernier ministère, M. Thiers se donnait à la chambre comme le véritable représentant de la révolution de juillet. En toute occasion, publique s’entend, M. Thiers rappelait ses antécédens de la restauration, comme pour les opposer à ceux de M. Guizot. Cette position avait été prise avec tant d’adresse par M. Thiers, que ses collègues, qui jugeaient aussi bien que personne la valeur de son alliance et la nature de sa fidélité, le regardaient comme un élément indispensable du cabinet. Aujourd’hui, M. Thiers, séparé violemment comme il l’est de l’ancienne administration, par son silence, par le discours de M. Guizot et par la réplique de M. Sauzet, M. Thiers