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c’est des deux beaux yeux d’une fille d’honneur qu’est née l’église anglicane, cette grave et forte église qui a fait depuis trois cents ans toutes les révolutions de la Grande-Bretagne. Il est très vrai qu’il ne faut pas mesurer l’importance des résultats d’après la petitesse de la cause, et c’était là le préjugé de l’école philosophique de Voltaire ; mais il est très vrai aussi qu’il ne faut pas élever la cause à la hauteur du résultat, ni couvrir toutes les petitesses humaines de l’excuse d’une fatalité supérieure ; comme cela paraît être le préjugé de l’école impartiale de notre époque.

Et de même, du côté des hommes religieux qui n’approuvaient pas le divorce, ni, à plus forte raison, tous les changemens qui en sortirent, n’y eut-il qu’une résistance morale d’honnêtes gens déguisée sous une opposition de doctrine religieuse ? Non sans doute. Aucun d’eux ne se trompa sur la vraie cause de la querelle ; mais tous, d’abord par la curiosité, ensuite par l’entraînement de la polémique, se trouvèrent engagés à leur insu à examiner sincèrement la doctrine de l’église sur ce point. Si ce fut là un calcul de la politique de Henry, il faut avouer que cette politique était habile, car il faisait de ses propres adversaires les garans de la sincérité de ses scrupules, et, par la gravité de la controverse, il cachait l’origine honteuse du litige. Et de même que, dans l’esprit du roi, les scrupules religieux s’affaiblirent à mesure que les désirs s’irritèrent, et qu’à l’idée de gagner la faveur du Saint-Siége, succéda celle de le dépouiller de tout ce qu’il tirait de l’Angleterre[1] ; de même, dans l’esprit des opposans au divorce, à la pensée de discuter à l’amiable, succéda celle de protester, soit par le silence, soit par une neutralité accusatrice. Quelques-uns brûlèrent leurs livres de controverse[2] et attendirent avec courage le ressentiment d’un prince qu’ils ne voulaient plus servir même par une opposition motivée.

Quant à Morus, dès le commencement de cette affaire, il avait déclaré au roi qu’il ne pouvait pas approuver le divorce. Morus n’était ni évêque ni théologien. Il jugeait la position de Catherine et de sa fille Marie, non d’après les contradictions du Lévitique et de saint Paul, mais avec son cœur d’époux et de père, et avec ses mœurs de famille. La première fois que le roi s’en ouvrit

  1. Cette idée vint du secrétaire Cromwell, qui fut chargé de l’exécuter.
  2. Thomas Morus, English Works, 1427 F.