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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/392

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par une analogie incontestable, le problème de l’épopée grecque. Elles donnèrent, au moins, une sorte de popularité à cette question mêlée au goût renaissant des origines nationales et chrétiennes.

Cette solution séduisait, au reste, par sa simplicité, outre qu’elle offrait aux conjectures une carrière inattendue ; elle déplaçait l’ornière accoutumée, elle rejetait toutes les questions surannées en des termes où l’imagination et l’érudition pouvaient facilement s’aiguillonner l’une l’autre. Aussi, est-il difficile de se figurer l’empressement avec lequel elle fut accueillie par les contemporains. Wolf eut pendant quelques années une ovation semblable à celle de Macpherson. Il semblait qu’il venait de retrouver les poèmes auxquels il donnait une origine si imprévue. On eut alors un exemple de la facilité avec laquelle les esprits allemands, les plus rassasiés de science positive, se laissent entraîner presque sans défense aux moindres lueurs de l’imagination. L’hypothèse de Wolf fut promptement admise comme l’axiome fondamental de la critique nouvelle. Chacun sépara, divisa, disséqua à son aise les rhapsodies ioniennes. C’est alors que les membres du poète furent dispersés sur tous les monts de la Thrace. Les uns rejetèrent le début de l’Iliade, les autres les six derniers livres. Si quelque voix s’élevait contre tant d’audace, elle était bien vite couverte par la science des novateurs. Ils avaient alors, pour eux, la science et la croyance. Les Prolégomènes de Wolf avaient paru en 1795, et la convention française n’avait pas été plus ardente à renverser la royauté politique, deux années auparavant, que cette convention d’érudits ne l’était alors à abolir dans Homère la vieille et légitime royauté des poètes. L’opinion des plus réservés était qu’un plan primitif avait à la vérité précédé la rédaction actuelle des poèmes homériques ; mais le plan d’un rhapsode inconnu n’avait dû être qu’une ébauche informe, laquelle avait été d’âge en âge développée jusqu’aux proportions dans lesquelles l’Iliade et l’Odyssée nous sont parvenues. Ce fut là le jugement des plus timides. D’ailleurs, cette explication fut promptement étendue à d’autres monumens de l’antiquité orientale et grecque. Tout le système des anciens fut ébranlé, et la mémoire d’un grand nombre d’entre eux menacée d’être abolie en un jour, comme un rêve du genre humain.

Si l’on recherche quelle fut l’opinion des poètes dans une ques-