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qu’en creusant long-temps cette terre ingrate. C’est là qu’il récolte du foin pour l’hiver. Quelques-uns y joignent un petit carré de jardin. Le gouvernement danois leur envoie chaque année les graines nécessaires. Ils sèment leurs légumes au commencement de juin, et s’ils ne la recueillent pas au mois d’août, la moisson court grand risque d’être perdue. Si à cette habitation le pêcheur joint encore un bâtiment en planches de quelques pieds carrés, pour faire sécher le poisson, il peut se regarder comme un être privilégié. La plupart font sécher le produit de leur pêche en plein air sur les murs ; mais du moins ils peuvent être bien sûrs que personne n’y touchera. Nuit et jour, une quantité de morues sont ainsi étalées au bord du chemin, et jamais on n’a eu d’exemple de vol. De temps en temps, auprès de ces misérables demeures, on rencontre, il est vrai, quelques habitations plus vastes, mieux aérées et mieux bâties, appartenant à des paysans riches, qui, sans vouloir changer le mode de construction nationale, ont du moins cherché à le rendre aussi commode que possible ; mais ces habitations sont en petit nombre.

La vie du pêcheur islandais est une vie de privations et de souffrances continuelles, une vie de lutte contre la nature et les élémens. Au mois de février, quand la terre est couverte de glaces, quand le ciel brumeux de l’Islande n’annonce que des orages, quand les rayons d’un soleil pâle percent à peine à travers un crépuscule obscur qui ressemble à une nuit sans fin, le pêcheur quitte sa famille, sa chaumière. Il laisse à sa femme le soin de filer la laine, de préparer le beurre ; à ses enfans, celui de garder les bestiaux. Il s’en va avec sa ligne, le long du golfe, commencer sa laborieuse existence. Là se trouvent quelquefois réunis jusqu’à trois et quatre mille pêcheurs, et dans tout le pays, les habitations ne sont plus occupées que par des femmes et des enfans. Chaque nuit les pêcheurs consultent l’aspect du ciel ; si l’horizon leur présage une tempête, ils restent à terre ; sinon, ils se lèvent à deux heures du matin et s’embarquent, après avoir fait leur prière, sans doute une prière comme celle du matelot breton : « Mon Dieu ! protégez-moi ; ma barque est si petite, et la mer est si grande ! » Et toute la journée les pêcheurs jettent à la mer leurs lignes et leurs filets, et vers le soir ils s’en reviennent avec des bateaux remplis jusqu’au bord ; car, si le sol islandais est ingrat pour eux, la mer du moins les traite avec libéralité. Les femmes les attendent à leur retour pour recevoir le poisson et le préparer. On coupe toutes les têtes pour les faire sécher. C’est là ce que le pêcheur réserve pour lui ; presque tout le reste est destiné à être vendu. La pêche dure jusqu’au mois d’avril, quelquefois jusqu’au mois de juin. Quand le pêcheur est rentré chez lui, il compte ses richesses, rassemble ses provisions, les poissons qu’il a fait sécher, le drap (vadmâl) que sa femme a